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son château à Grasse le lendemain ; et sans égard aux prières, aux larmes, aux résistances de la douairière, il lui enleva sa fillette, Pauline, à qui cette reprise, il faut bien le dire, fit l’effet d’une délivrance.


VI. — LA FIN D’UNE LIAISON DANGEREUSE

Le bailli était ami de son repos et n’avait nul goût pour les querelles de famille. Il aurait voulu que, si Louise se tenait tranquille désormais, l’Ami des Hommes la laissât en paix. Mais celui-ci n’en démordait plus, et Louise, on doit en convenir, le bravait de loin comme de près. A peine rentrée dans son château, elle avait engagé M. de Cabris à dénoncer aux ministres l’injustice et l’illégalité des rigueurs dont elle venait d’être l’objet de la part de son père, au mépris de l’autorité maritale. Un peu plus tard, elle et Jean-Paul avaient encore envoyé leur procuration à Paris afin que, devant toutes les juridictions, on poursuivît en leur nom le triomphe de la marquise de Mirabeau et la punition de son persécuteur. Mais ce qui rouvrit carrière à la vindicte un moment différée de l’Ami des Hommes fut un incident sur lequel il ne comptait plus guère : M. de Cabris eut un accès de démence bien caractérisé, qui dura trois jours, du 23 au 26 septembre. Le pauvre homme débuta, par se porter un furieux coup de couteau dans la cuisse, puis il lacéra ses livres et ses estampes, jeta son argent par les fenêtres et ses meubles à la tête des gens, menaça de mort sa femme, sacrifia un chien, et enfin, harassé, repentant, supplia qu’on le mît en prison, en demandant, pour toute grâce, qu’on y brûlât de l’encens. La douairière de Cabris fit constater dûment ce misérable état de son fils ; puis, avec le concours du bailli de Mirabeau, rejeté bon gré mal gré lui dans ce conflit, elle engagea une procédure en interdiction qui aboutit sur la fin de l’année à une sentence conforme à sa demande. Louise fut exclue de la curatelle de l’interdit ainsi que de la tutelle de sa fille ; elle était replacée sous la puissance de son père ! Elle appela aussitôt de ce « prononcé de village » devant le parlement d’Aix. Mais ici comme à Crasse, ses juges étaient gagnés d’avance. Elle conquit en vain, par une défense aussi vaillante qu’adroite, les suffrages du barreau et de l’opinion publique. Le parlement confirma la sentence d’interdiction et valida les dispositions de