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Hommes, et bien secondé par l’officieux M. de Clapiers, dit Mon-Bon, faisait circuler et signer en Provence un mémoire sévère, destiné au ministre Amelot, où il incriminait pas à pas la conduite de sa nièce depuis son mariage pour démontrer que sa famille et celle de M. de Cabris étaient dans le cas de solliciter un ordre du Roi qui la confinât au couvent de la Déserte de Lyon, avec interdiction d’en sortir et d’y recevoir aucune visite, aucune correspondance, sans contrôle. La douairière de Cabris, mue par le désir d’avoir une postérité mâle, avait d’abord rejeté ce mémoire. Mais elle écrivait maintenant : « Je le signerai, j’engagerai mon fils à le signer. » Les beaux-frères de Jean-Paul, MM. de Gourdon, de Gras et de Saint-Cézaire n’en voulaient pas assumer l’initiative ; mais ils promettaient de signer après Les autres. Des Clapiers en nombre, — le marquis de Vauvenargues, frère du moraliste, en tête, — s’apprêtaient à suivre leur cousin Mon-Bon, « le plus zélé de tous, » au dire du bailli.


C’est là, cher frère, exposait ce dernier à l’Ami des Hommes (11 juillet), c’est là le meilleur parti à tirer de cette besogne-là ; car il serait difficile de faire interdire un homme qui, tout imbécile qu’il est, se réduisant à jouer au petit palet avec ses habitans, ne laisse pas de transiger avec eux et de faire des affaires assez avantageuses par la confiance qu’il a en un habile homme qui lui sert de conseil. Sa tête, très faible en elle-même, n’est pas jusqu’à extravaguer actuellement, et ce n’est qu’un homme vil par la tête et le cœur, mais sans rien qui ressorte assez pour le faire tomber sous la formalité prescrite à ce sujet ; et bien loin de guetter ses bons intervalles qui, dans le réel, sont nuls, il faudrait guetter ses mauvais qui, quoique éternels, ne le sont pas au point de répondre de travers à un juge.


Mais, ce 11 juillet, Louise abandonnait la Déserte où on se flattait de la reclure. Le 20, elle tombait à Grasse et de là ricochait à Cabris, comme une pierre du ciel dans une grenouillère. Il était temps : le faible Jean-Paul allait signer le mémoire du bailli, la lettre de cachet s’ensuivait infailliblement. Au lieu de cela, ce furent des complimens et des embrassades de tous à la ville, et des feux de joie, des arquebusades et des acclamations au village, en l’honneur de Madame la jeune, comme les vassaux de Louise l’appelaient. Plus un ennemi en vue. Jean-Paul donnait tout le premier l’exemple de serrer dans ses bras avec émerveillement cette redoutable déesse qui partout rassemblait les nuages sur son front, et les dissipait d’un regard. Tout à fait raffermi par sa présence, il descendit de