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Je reçois, mon tendre amant, ta lettre du 2 juillet. Tu m’y parles d’une-grande que tu viens de mettre à la poste avec une feuille blanche. Je ne l’ai pas reçue, mais j’ai cru comprendre par la suite de la lettre que tu l’aurais adressée à la Ch. B***. En ce cas, je ne l’aurai que fort tard ou demain, et je ne pourrai t’y répondre que par la poste de lundi.


Elle reprenait le lendemain :


Mon bon amour, je suis dans la plus vive inquiétude au sujet de la lettre que tu m’annonces qui contenait la feuille blanche. J’ai passé à la poste ; j’ai parlé à la Ch. B***, elle n’a rien reçu… J’espère encore jusqu’à samedi, mais s’il n’y a rien, nous aurons tout à craindre qu’elle ne soit perdue. Aussi, quelle mauvaise idée tu as eue d’employer une autre adresse pour celle-là pendant que la nôtre est si sûre !


Le samedi ni les jours suivans ne devaient rien apporter à Sophie. Cette « grande lettre avec une fouille blanche » était arrivée à son adresse, mais elle avait été livrée à la famille de Ruffey ; et elle n’était autre, nous l’avons reconnue, que la longue fable des rapports incestueux de Mirabeau avec Mme de Cabris ! Mirabeau ne s’exagéra pas le danger de cette interception en le jugeant funeste pour lui s’il demeurait à Lorgues plus longtemps. Il ne pouvait deviner en quelles mains cette maudite lettre était tombée : avait-elle été saisie au départ, ou à l’arrivée ? remise par la Ch. B*** soit au marquis de Monnier, soit aux parens de Sophie qui ne manqueraient pas de la communiquer, comme les précédentes, a l’Ami des Hommes, — ou bien arrêtée par l’indiscrétion du directeur de la poste de Cirasse, ami de Briamjon, et envoyée à celui-ci ? Hypothèses également plausibles ; et dans le doute, Mirabeau devait se comporter comme si les unes et les autres, quoique s’excluant, s’étaient réalisées à la fois. De toute façon, il avait livré à des ennemis impitoyables le secret de sa retraite, le plan de se& projets criminels et l’aveu du pire des forfaits, puisqu’il offensait aussi atrocement la nature que l’honneur. Il n’y avait plus d’alternative pour lui que sa capture à bref délai, suivie d’une détention perpétuelle, ou la fuite… Mais fuir où ? On le rejoindrait en France partout, tôt ou tard. A Lyon, il lui faudrait peut-être se couper la gorge avec Pylade, vengeur de sa sœur outragée. A Paris, où son père, les ministres et la police étaient d’accord pour l’ensevelir vivant, personne ne voudrait plus-donner asile à un misérable convaincu par ses propres écrits de rapt, de vols et d’inceste. Son salut était dans les pays