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ils viennent au sud d’Aïn-Sefra à l’époque de la floraison saharienne, pour faire paître leurs troupeaux. Ce n’est pas sans regret qu’ils s’éloignent alors de leurs champs et de leurs silos. De temps en temps, des défections se produisent dans le camp nomade et des familles entières émigrent à Oudjda et Taourirt pour s’y fixer.

Bouterfass me parle avec mépris des riches caïds qui mènent la vie amollissante des villes. « Quand je dors, me dit-il, je n’ai au-dessus de la tête que les feloudj de ma tente et puis le ciel. » Il s’est entouré de tout le confort compatible avec la mobilité. On devine que ses fils et lui sont bien nourris et ignorent les fatigues et les veilles du nomade pauvre.

Les femmes du douar vêtues avec beaucoup de recherche ne sont pas brunies par le grand air et le soleil. Vouées à l’oisiveté ou aux devoirs de la maternité, elles sont l’ornement de ce joli campement nomade.

Toutes sont rentrées à mon approche, non sans m’avoir laissé un instant admirer leurs beaux yeux et leurs cheveux noirs.


Nous avons successivement interrogé toutes les catégories de nomades et partout nous avons constaté une évolution, une aspiration bien marquée vers la vie sédentaire.

La tente est en effet la plus inconfortable des demeures : elle expose ses habitans à toutes les intempéries des saisons, elle ne leur permet aucun bien-être matériel. Le nomade ne peut posséder ni mobilier, ni matériel de chauffage, d’éclairage, de cuisine, ni surtout ces mille riens qui chez nous représentent tant de chers souvenirs. Il faut qu’en un instant la famille errante puisse charger tout ce qu’elle possède sur quelques animaux de bât pour continuer sa route.

La tente est encore la demeure perpétuellement ouverte qui ne garde aucun secret intime. Aussi sera-t-elle tôt ou tard remplacée par la maison avec sa porte bien close et ses chambres commodes. La civilisation a endigué la vie errante et accumulé mille obstacles sur son parcours ; il n’y aura bientôt plus de place en ce monde pour le nomade.


Dans les villages et dans les villes où nous allons pénétrer