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misère caractérisent bien la vie du nomade : il a une réserve de quelques douros enterrés dans sa tente pour les cas imprévus. Si, malgré tout, la misère persiste, quelques hommes prennent le parti d’aller travailler pendant une saison en Oranie, et ils reviennent au bout de quatre mois rapportant presque tout leur salaire.

Cette année, mes hôtes craignent d’être impliqués dans la responsabilité collective encourue par leur tribu à propos du guet-apens de la forêt de la Mamora. Le général Ditte et un escadron de chasseurs d’Afrique ont été traîtreusement attaqués entre Salé et Méhédiah par un parti zaër. Mes nouveaux amis m’assurent que les coupables sont des rôdeurs professionnels n’ayant ni feu ni lieu, mais qu’eux, cultivateurs et éleveurs de bétail, se garderaient bien d’attaquer les Français. Ils me demandent d’intervenir en leur faveur et de présenter au commandement leur soumission. Tout à l’heure, une vingtaine de représentans des douars voisins viendront à leur tour m’exprimer les mêmes sentimens et formuler la même demande. Je n’avais aucun titre pour intervenir, comme négociateur. Je me bornai à faire au général Moinier la commission dont je m’étais du reste très volontiers chargé.

Cependant le repas est prêt ; on apporte dans un plat en bois des beignets et du beurre très frais, des pains arabes tout chauds. Une peau de bouc pendue à la porte contient de l’eau puisée à la source voisine. Malgré mon respect pour la couleur locale, j’ai sorti d’une sacoche un couvert, une assiette, un verre, tandis que les Zaërs vont manger avec les doigts, et boire tous à la même tasse. Gebeli ne peut m’imiter parce qu’en se comportant en civilisé il perdrait tout son prestige, mais sa femme, qui tient à conserver ses prérogatives d’Européenne, a sorti son couvert.

Rien n’est plus exquis que le méchoui, le mouton rôti et croustillant qu’on nous apporte tout entier. Deux ou trois chiens, qui m’avaient accueilli par une mimique hargneuse à l’arrivée, se glissent derrière moi et s’apprivoisent tout à fait au moment où mon hôte remplit mon assiette. Il me serait impossible, malgré un appétit robuste, de manger l’énorme part qui m’est offerte, si je n’étais aidé par mes amis à quatre pattes, à qui je passe à la dérobée quelques morceaux qu’ils croquent discrètement. Le couscouss au mouton bouilli est apporté. C’est la fin