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aussi radicale ? Un exemple très curieux, qu’il nous sera permis de généraliser, va nous donner une réponse affirmative.


Nous rencontrons à Oudjda Ali-ben-Maïmoune, âgé de cinquante-cinq ans, qui est précisément un ancien nomade de la catégorie que je viens de décrire. Après une jeunesse orageuse, des meurtres nombreux, des razzias fructueuses, Ali-ben-Maïmoune s’est rangé. Fatma, que nous voyons à ses côtés, a fixé le volage qui avait eu successivement six épouses, dont deux sont mortes et les autres ont été répudiées. Fatma, bien conservée malgré ses quarante printemps, est une femme intelligente et une bonne maîtresse de maison. Le ménage a un fils marié, âgé de dix-neuf ans, Mohammed, vivant avec ses parens, une fille de dix-sept ans, mariée depuis deux ans à Taza, une fille de douze ans et une fille de sept ans.

Ali-ben-Maïmoune, se trouvant par suite d’héritage propriétaire de deux maisons, de quatre magasins, ainsi que de champs qu’il loue et d’un jardin potager, qu’il cultive, a un revenu régulier de 1 800 francs. Ce serait déjà l’aisance pour des gens qui dépensent très peu, mangent deux fois de la viande par semaine et ne boivent que de l’eau ; mais Ali-ben-Maïmoune ajoute à ce revenu le produit d’un petit commerce auquel il se livre à ses momens perdus. Il va acheter à Géryville, Tiaret et Tlemcen des couvertures qu’il revend à Oudjda.

Notre Fra Diavolo converti, qui, avant trente-cinq ans, n’avait guère travaillé, car la maraude n’est pas un travail, s’est transformé tout à coup en petit rentier, vivant bourgeoisement, cultivant son jardin, et faisant un peu de commerce. Il n’a même plus de fusil.

Il me dit quelle satisfaction il éprouve aujourd’hui en dormant sans souci, quand le soir la porte de la rue est close, tandis qu’autrefois, sous la tente, il vivait dans une alerte perpétuelle, reposant peu et se nourrissant mal.

Cet homme, qui a pratiqué le vol à main armée, n’a pas pour cela la mentalité de nos apaches : il considérait le brigandage comme un sport très noble, personne ne lui ayant appris à discerner le bien du mal. Ce sont les circonstances et non une évolution morale qui l’ont amené à adopter un nouveau genre d’existence.

Depuis qu’il a quitté la tente, il a fait un séjour en Oranie,