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nerveuse semble inconnue à ce peintre, et c’est pourtant la plus expressive. Les lignes peuvent être bien conçues au point de vue de la composition, ce sont de belles arabesques, mais au point de vue de la beauté corporelle, je les trouve tourmentées, tous les genoux sont cagneux. Le corps du Christ est construit comme celui des bourreaux, une âme délicate n’y saurait habiter ; j’aime mieux, à tout prendre, le Christ efflanqué des primitifs italiens. D’après l’éloge enthousiaste que fait Fromentin de la Communion de saint François, je m’attendais à autre chose et à mieux. Toutefois, le tempérament de Rubens y est à l’aise. Il y a là des moines brutaux et violemment attendris qui devaient être réussis, car la mélancolie et la distinction, qualités chrétiennes des primitifs, en sont bien absentes.

En somme, c’est le tableau du coup de lance, et le tableau de famille qui m’ont le plus frappé ; ils m’ont délecté la rétine d’une manière inexprimable.

Mais ce qui a été entièrement une révélation pour moi, ce sont les Franz Hals d’ici. Comment se fait-il qu’un pareil peintre ne soit pas plus souvent cité ? Le peu que j’appréciais dans Ribot, je m’aperçois que c’était du Hals, et encore du Hals des derniers jours ; et maintenant que j’ai vu le Hals du bon temps, j’ai Ribot en horreur, comme un profanateur. La véracité de ce peintre est prodigieuse ; je n’avais rien vu qui en approchât, même en Italie, car il faut bien distinguer ici l’art de la poésie. Dans tout grand peintre italien il y a un mélange profond de l’un et de l’autre, et j’entends par la poésie d’une peinture ce que l’artiste ajoute à la nature aussi bien dans le coloris que dans la composition ; la couleur est en effet sujette à interprétation : chaque peintre, selon son tempérament, interpose entre lui et l’objet un prisme qui modifie avec harmonie les tons réels. Pour Hals, il semble que le problème consiste à transporter sur la toile les tons donnés par le modèle, en maintenant tous leurs rapports réels ; c’est accepter toutes les difficultés de l’imitation, au lieu de les simplifier ou de les éliminer par l’adoption d’un procédé ou d’un parti. Pendant sa longue carrière, depuis son premier tableau jusqu’à son dernier, Hals fait en quelque sorte le siège de la vérité par des approches successives, et il ne perd la sincérité qu’à la fin de sa vie lorsqu’il est trop affaibli pour satisfaire aux exigences de son propre idéal ; alors il renonce à rendre la complexité infinie des tons