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à y faire dans le sens que vous me signalez. Pour le moment, je n’y ai aucunement l’esprit ; j’avais des idées de poèmes en tête, puis la stérilité a succédé à cet entrain passager dû à des impressions favorables. Quelle fragilité dans les ressorts de la pensée ! Je serais honteux de ne vous parler que de mes élucubrations et de mes affaires, si vous n’aviez la bonté de me le permettre, et je le ferais même plus souvent, n’était la grosso part que je consacre malgré moi à des correspondances qui ne me donnent que de l’ennui ; je reçois quantité de volumes de vers, de brochures et de lettres.

Veuillez présenter mes respects au Conseiller et agréer l’expression de mes sentimens respectueux et bien dévoués.


Harlem, 26 août 1876, vendredi soir (sic).

Madame et excellente amie,

Je vous ai promis de vous donner des nouvelles de mon voyage ; c’est de Harlem que je vous écris ; nous y sommes depuis avant-hier dans la soirée. Nous avons quitté Paris, Lafenestre et moi, lundi dernier à 7 h. 20 du matin : nous avons pris Lefebvre à Compiègne, et nous sommes allés directement à Bruxelles. Delaunay n’a pu venir avec nous, il était appelé par sa famille à Nantes. J’ai été soutirant et fatigué au début de mon voyage, je commence à me remettre ici. Je suis parti en assez mauvais état ; si je n’avais écouté que ma propre disposition, j’aurais attendu encore, mais sans doute j’aurais renoncé à rejoindre les autres, et je m’applaudis maintenant d’avoir persévéré. J’ai l’estomac détraqué depuis une dizaine de jours, je mange peu et je combats très difficilement mon état nerveux et les inconvéniens ordinaires de ma misérable santé. Mes compagnons ont de meilleures jambes que moi ; malgré leur complaisance, ils s’oublient, vont leur train et me lassent vite. Je n’ose pas trop me séparer d’eux, de peur de les faire renoncer à leurs plans en ma faveur ; de là quelques fatigues pour moi. Les sels anglais, que vous m’avez conseillés pour me ravigoter le cerveau, font merveille ; plusieurs fois j’ai eu besoin de me réveiller les esprits, car je suis sujet à des faiblesses subites qui me causent des transes terribles quand je ne suis