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satisfaction toute personnelle de parler de moi, pardonnez-le-moi en faveur de la confiance dont je vous donne si naïvement la preuve. Les réflexions, dans la retraite à laquelle je suis condamné, prennent un caractère plus sérieux qu’elles n’ont eu jamais au milieu des agitations de Paris ; l’esprit de réforme s’empare de moi avec une incroyable énergie, et il me semble que je touche à quelque phase critique de ma destinée…


Clermont, 1er juin 1871.

Madame et excellente amie,

… Je vois avec chagrin qu’il n’y a pas d’amélioration dans votre état, et, à vrai dire, le drame qui vient de se passer à Paris n’était pas de nature à vous tranquilliser l’esprit. Nous en sommes atterrés ; pour moi, je suis épouvanté de la profondeur du mal social dont les événemens nous font mesurer l’étendue et nous révèlent le caractère. Nous avons affaire à des monstres, mais je pense avec effroi que je serais un de ces monstres si l’éducation et l’aisance ne m’avaient classé dans le monde comme je le suis ; aussi je place la cause de cette catastrophe beaucoup plus dans le régime défectueux du salariat que dans la mauvaise nature des individus. La corruption est à peu près la même dans les différentes classes sous des formes diverses, ce n’est qu’une question de propreté tout extérieure qui me touche fort peu. La misère engendre l’infamie en ne permettant que des jouissances à bon marché, le luxe l’engendre aussi en facilitant des plaisirs d’autant plus vicieux qu’ils sont plus raffinés. La bourgeoisie et la classe supérieure, c’est-à-dire tout simplement plus riche et plus audacieuse, devraient bien distinguer dans tous ces crimes la part de responsabilité qui leur revient au lieu de se ruer dans une lâche réaction où se complaît la mollesse des caractères. Ils vont encore supprimer la question sociale qui est la seule dont il faille avant tout s’occuper, et substitueront une camisole de force à la moralisation. Les horribles gueux qui ont poussé le peuple savaient bien qu’il a un vague instinct d’une grande iniquité sociale, mais ils se sont bien gardés de lui apprendre que cette iniquité n’est pas immédiatement remédiable, parce que les réformes brusques eu dépaysant toutes les classes, sans