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arrondissemens les factionnaires de l’un et de l’autre camp s’observaient ; c’était sinistre. J’achetai mélancoliquement un képi et me rendis au poste de la rue d’Aumale où l’adjudant-major de la compagnie de mon quartier me promit un fusil ; puis, quand le lendemain matin je revins au poste, je ne vis que trois gardes nationaux et nous apprîmes bientôt que notre maire avait pactisé avec l’émeute et que les élections de la Commune auraient lieu immédiatement ; chacun s’en alla chez soi ; et voilà tout le résultat de mon retour dans cette horrible ville, en attendant que de nouvelles alarmes viennent encore secouer mon inutile personne. Mes nerfs ne s’habituent pas à ces épreuves qui les irritent sans aucun emploi de mes forces et de mon intelligence.

Je suis avec exactitude un traitement qui me soulage, mais qui ne me vaut pas l’étonnante vertu du grand air des montagnes. En quelques jours j’avais repris bonne mine, et déjà je suis moins bien. J’ai fait beaucoup de choses absolument contraires à ma nature, depuis un an, et je commence à en être tout à fait las. Mon caractère très faible a dû se roidir si souvent qu’il est rompu comme un arc forcé, c’est-à-dire indifférent ; aucun acte héroïque ne l’a relevé ; j’ai accompli obscurément une série de devoirs ingrats. Affreuse année qui m’aura initié à des douleurs dont je n’avais pas la moindre idée. Vos lettres, bien que trop tardivement lues, ont été pour moi d’un véritable secours moral, car j’y ai senti mes propres souffrances, et c’est dans la sympathie que les forces de cœur se retrempent. Je voudrais pouvoir y répondre plus entièrement, mais j’écris avec quelque peine ; j’ai la tête troublée par la tempête d’idées que soulève cette subite révolution qui remet en question l’existence de l’unité française ; je ressemble à un homme qui serait obligé de parler sous une douche…


Clermont, 8 mai 1871.

Madame et excellente amie,

… Votre dernière lettre, outre le plaisir qu’elle m’a causé par cette Antiope que j’avais cherché vainement à me procurer ici, m’a beaucoup intéressé par les réflexions dont elle est remplie. Votre conclusion est un peu plus optimiste que de raison, je