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grammaire. La nationalité est constituée d’élémens divers : avant tout la topographie, puis les conditions économiques qui valent à alimenter la vie des populations. Vous prendriez Trieste, — que d’ailleurs nous ne vous donnerions pas, — vous ne pourriez pas vous y maintenir un seul jour : vous seriez maudits. J’ai écrit une note sur ce sujet, que je vous ferais lire si je l’avais ici et où je développe ces idées. Et puis, il faut parler franchement : voulez-vous d’autres territoires ? dites-le ! C’est une politique que je comprends. La question…

— Je m’accorde avec vous sur les principes. La langue n’est pas le seul élément de la nationalité, et, si nous la prenions pour régie, nous devrions devenir hostiles à maints Etats et leur faire la guerre. Or, notre politique est toute de paix. Nous voulons rester en bons terme ? avec nos voisins, établir avec eux des accords sur la base des intérêts communs et respecter les traités. Nous n’attaquerons personne : nous nous bornerons à nous défendre, si nous sommes attaqués. Nous avons été révolutionnaires pour faire l’Italie : nous sommes conservateurs pour la maintenir. Vous seul pouvez nous comprendre, ayant été, vous aussi, un révolutionnaire.

— J’ai été pendu en effigie.

— Eh bien ! vous savez que, quand l’indépendance et la liberté d’un pays ont été acquises par des sacrifices, ceux qui ont fait ces sacrifices ne veulent plus, par des aventures téméraires, mettre en danger les biens obtenus. Fiume, c’est là une imputation ridicule ; les ports sont des débouchés nécessaires pour le commerce ; celui qui les possède doit posséder aussi le territoire d’où viennent les produits. Que pourrions-nous faire de Fiume ?

L’opinion publique est interprétée par le parlement et par le gouvernement. Or, avez-vous à vous plaindre de leur altitude ? Il est nécessaire que les deux Etats soient amis, et les deux gouvernemens d’accord.

— J’ai fait toujours cette politique, et pendant les six années où j’ai été ministre, et depuis cinq ans que je suis chancelier ; je ne me soucie ni des journaux ni des parlemens. Je défiel’impopularité ; je sais ce qui est nécessaire aux intérêts de l’Empire. Une politique d’hostilité contre vous serait contraire aux intérêts de l’Autriche-Hongrie. Aussi longtemps que je serai ministre, je ne m’y résignerai jamais.