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poitrail ne fussent plus qu’une plaie sanglante. En un mois de marche, le quart des chevaux et des mulets était mort fourbu ; un nombre égal attendait, dans les infirmeries installées en plein air une improbable guérison.

Les antiseptiques, les cautérisans, l’ouate manquaient.. Le vétérinaire en était réduit aux pauvres ressources des cantines de troupes montées, de sa trousse personnelle et de son ingéniosité. Il collectionnait les boîtes de conserves vides pour confectionner des bocaux pharmaceutiques, transformait en seringues les bouteilles d’eau de Vichy et se confondait en exclamations touchantes quand, d’une caisse d’approvisionnemens expédiée par les services de l’arrière, il extrayait deux kilos de sulfate de soude et trois paquets de coton. Il regrettait qu’une association féminine, une Société Protectrice, n’eût pas songé, par des dons volontaires, à procurer, elle aussi, quelques gâteries aux animaux en campagne, plus malheureux encore que les soldats.

M. de Valence, le secrétaire général de la Croix-Rouge, venait en effet d’arriver à Tiflet. Débarqué à Tanger, il avait visité les malades dans les hôpitaux et ambulances de Fez, Meknès, Soukh-el-Arba ; il avait écouté leurs plaintes et leurs désirs. En même temps, un délégué de la Société convoyait, depuis Casablanca, une caravane de douceurs pour les troupes, et les distribuait dans les garnisons. Le Comité directeur jugeait, avec sagesse, que ses envois arriveraient plus sûrement à destination, s’ils n’étaient pas abandonnés sans défense au formalisme de l’administration militaire, à l’indifférence ou aux convoitises d’intermédiaires peu scrupuleux. Le voyage de M. de Valence devait mettre fin à des abus discrets, analogues à ceux que nous connaissons dans la répartition des souscriptions nationales faites en faveur des victimes de désastres sensationnels. Phénomène tout nouveau, le partage des colis estampillés de la Croix-Rouge ne fut pas le prétexte de réflexions narquoises, d’observations aigres, de commentaires désabusés. Paquets de tabac, cahiers de papier à lettres, boîtes de lait, d’eau de Cologne, cigarettes et savons, pots de confitures et tablettes de chocolat, ruisselaient en cascades dans les couvre-pieds étendus sur le sol. Ébahis et muets, les soldats étaient éblouis par de telles largesses ; ils comparaient cette abondance aux ballots flasques et maigres qui s’échouaient parfois dans les