Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont la Chaouïa, que nous connaissons bien aujourd’hui, est vraisemblablement le morceau le plus précieux. Là est l’avenir du Maroc, le nôtre par conséquent si nous savons nous emparer de ces vastes provinces par une pénétration habile et prudente, les pacifier, les administrer. Laissons donc à l’Espagne ce qui doit lui revenir ; laissons-le-lui, non pas sans regrets, certes, mais avec un renoncement sincère et avec le sentiment de faire à la fois acte de bonne amitié et de bonne politique. Nous avons intérêt à ce que l’Espagne soit pour nous, en Afrique comme en Europe, une voisine satisfaite. Ceux qui ont conçu le projet d’étendre notre protectorat au Maroc tout entier, ont fait un beau rêve, malheureusement irréalisable. Il ne suffisait pas de mettre cela dans notre traité avec l’Allemagne pour en faire une réalité. On peut même se demander si nous avons été bien inspirés en demandant à l’Allemagne d’introduire cette clause dans notre traité ; mais qu’elle l’y ait admise en effet, et avec un secret empressement sans doute, nous n’en sommes pas surpris. Si, au moment de conclure avec nous, l’Allemagne a entrevu le moyen de nous brouiller peut-être avec l’Espagne et de nous refroidir avec l’Angleterre, il est naturel qu’elle s’en soit servie. Nous espérons bien que ce double but ne sera pas atteint, mais que l’Allemagne se le soit proposé, c’est ce qui résulte de faits dont nous avons maintenant à dire un mot.

On sait que le traité franco-allemand a eu le privilège de produire un égal mécontentement des deux côtés du Rhin : il a été très attaqué au Reichstag, il le sera sans doute aussi au Parlement français, l’opinion dans les deux pays s’est montrée pour lui très sévère. Les Allemands sont généralement convaincus qu’il est un échec pour eux, et la plupart des. Français ne sont pas, en ce qui les concerne, d’un autre sentiment : concilie qui pourra ces contradictions. La différence, au point de vue constitutionnel, est que le traité n’a pas besoin d’être soumis au Reichstag, tandis qu’il doit l’être à notre parlement. Le gouvernement impérial a renoncé, il est vrai, à cet avantage pour l’avenir, mais il a prétendu le conserver intact pour le présent, et il y a même mis une certaine fierté d’accent. Les choses étant ainsi, nous assistons à un phénomène singulier : le gouvernement français n’a encore rien dit à la Chambre, tandis que le gouvernement impérial a subi une interpellation et a déjà fait de grands discours au Reichstag ; quant aux deux ministres des Affaires étrangères, ils ont été entendus l’un et l’autre par une commission, mais M. de Selves a parlé jusqu’ici le moins possible, tandis que