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plus vertueux ou plus ridicule, plus généreux ou plus sot. C’est pourquoi il envoie à Pierre la formule de rappel. Celui-ci revient, comme on revient vers un bonheur qu’on a senti fragile et décevant. C’est un terrible ennemi que le doute, et une fois qu’il est entré dans une âme, les plus beaux raisonnemens n’y feront rien : toutes les joies sont empoisonnées. Inquiet, en dépit de lui-même, Pierre, à son arrivée, ne trouve que trop de sujets à confirmer ses craintes. L’accueil de Jean est d’une gaieté contrainte, d’une cordialité factice. Mais c’est sur le visage de Madeleine qu’il va lire son arrêt. Toutes les souffrances de la passion se lisent sur ce visage émacié et fiévreux. Quoi ! c’est pour le mettre en présence d’un tel spectacle qu’ils l’ont rappelé ! Il accable de reproches l’ami félon. Mais celui-ci n’a pas de peine à se disculper ; il a tenu sa parole, il a tout fait, sauf ce qui était impossible : changer le cœur de Madeleine. Devant l’évidence, Pierre se résigne. Il connaît son devoir ; car il y a un devoir selon la littérature amoureuse, et il consiste à ne jamais se mettre en travers de la passion. Donc il partira, — encore une fois ! — et ce ne sera plus un faux départ, mais l’adieu définitif. Et Madeleine et Jean seront très heureux.

Pierre Verneuil s’appelait Jacques dans le roman de George Sand. Il passait, en ce temps-là, pour le type du mari délicat. Nous serions plutôt d’avis aujourd’hui qu’il est le modèle des maris maladroits. S’il est fort malheureux, il faut avouer qu’il a fait tout ce qu’il fallait pour cela : il a, de toutes ses forces, aidé à sa destinée. Pour un tel résultat, était-ce la peine de prendre tant de détours, et d’arranger une comédie si compliquée ? C’est aussi bien l’objection que nous adressons à la pièce de M. Pierre Wolff. Tout ce déploiement d’ingéniosité aboutit à moins que rien. D’une donnée qu’il avait choisie exceptionnelle et rare, l’auteur n’a pas su tirer parti.

Nous attendions une autre comédie, et nous étions d’autant plus en droit de l’attendre que c’est celle même dont Pierre Verneuil avait dans sa tête agencé le scénario. C’aurait été la conversion des amoureux, les merveilleux effets de la confiance, le triomphe du mari généreux. Au lieu de fuir Madeleine, Jean se serait acquitté de sa mission auprès d’elle avec un machiavélisme vertueux. Au lieu d’affecter à son égard une froideur soudaine et inexpliquée, il ne lui aurait pas caché la profondeur du sentiment qu’il éprouve pour elle. Mais peu à peu il l’aurait amenée à comprendre qu’aimer une femme, ce n’est pas seulement lui demander un peu de plaisir, mais ce peut être aussi veiller sur elle et la guider vers la meilleure destinée. Madeleine est