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Que Jean l’étudie, et qu’il décide. Sur un mot délai, Pierre reviendra, ou il s’écartera pour toujours… Cette résolution étant la seule à laquelle personne n’eût pensé, et celle au surplus contre laquelle proteste le plus vigoureusement le bon sens, elle a paru parfaitement invraisemblable, inadmissible et même absurde.

Elle n’est que romanesque. Pierre Verneuil croit à la bonté de la nature humaine. Il ignore ou il ne veut pas savoir que l’amour a sa morale qui lui est particulière et consiste à tenir pour permis tout ce que défend la morale. Il a le goût de l’exceptionnel et du paradoxal qu’il prend pour le sublime. C’est le dernier des optimistes.

Mais la situation étant ainsi posée, et qu’on la trouve d’ailleurs ingénieuse ou extravagante, il reste à savoir ce que l’auteur en a tiré, et ce que valent les deux actes suivans. Je remarque d’abord que ces deux actes sont un peu vides. Un rôle, celui d’un vieux fêtard sympathique, y tient beaucoup de place, et c’est un rôle de remplissage. Tout l’essentiel du second acte tient en deux scènes. La première met en présence Madeleine et Jean. Celui-ci, qui a été sincèrement ému par la confiance de son ami, tâche de s’en rendre digne. Et le seul moyen qu’il ait trouvé, c’est de disparaître, lui aussi ! Depuis quinze jours, on ne l’a plus revu. Madeleine ne comprend rien à cet accès de discrétion se produisant justement à Trustant où l’absence du mari leur serait une occasion si commode ! C’est une personne à l’esprit simpliste et qui ne s’embarrasse pas de vains scrupules. Elle accable de ses reproches Jean, terriblement gêné et dans la situation la plus fausse qui soit, entre l’ami qu’il voudrait ne pas trahir et la femme qu’il voudrait posséder. L’attitude des deux amoureux, la colère passionnée de la femme toute à son amour, l’embarras de l’homme pour qui l’amour n’est pas tout au monde et ne supprime pas toutes autres considérations, est d’ailleurs d’une observation juste et d’un dessin finement nuancé. L’autre scène est encore une scène de reproches, que subit encore l’infortuné Jean Derigny, et, cette fois, de la part de la mère de Madeleine. Cette mère, voyant sa fille souffrir et dépérir, s’oublie jusqu’à reprocher à Jean sa réserve. C’est choquant et cela sonne faux.

La situation est devenue intenable. Elle l’est pour tout le monde : pour Madeleine, qui a pris le parti de s’éloigner, — tout le monde s’éloigne dans cette pièce et ils passent leur temps à se fuir les uns les autres, — et s’en est allée à Saint-Raphaël, faire une retraite dans une chambre d’hôtel ; pour la mère de Madeleine, qui bout ; mais surtout pour Jean, qui se demande avec angoisse s’il est