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en curieux nos troupes qui, depuis Rabat, les protégeaient sur la nouvelle ligne d’étapes. Ils comptaient les accompagner jusqu’à Fez, mais notre arrêt à Meknès les immobilisait dans notre camp. Ils en profitaient pour visiter la ville et pour laisser, dans les popotes qui se les disputaient, le souvenir d’une connaissance parfaite des choses marocaines, et d’une grâce spirituelle et bien habillée. On promettait aux officiers de passage les plus merveilleuses attractions en les prévenant avec obligeance : « Il y aura des légumes, des fruits, un monsieur et une dame ! » Dans l’attente de ces délices, les rasoirs sortaient de leurs étuis, les limes à ongles de leurs nécessaires ; on retrouvait dans les flacons quelques gouttes d’essences rares, dans la cantine le kaki des grands jours. Et dans une salle à manger de roseaux, devant une table frugale mais égayée de fleurs sauvages, les caprices d’une conversation où, — puissance magique de la femme ! — chacun étincelait d’enjouement et d’esprit, faisaient oublier pendant quelques heures les sempiternelles discussions de service, de mérites, de récompenses et de passe-droits.

À l’Ouest de Meknès, le pays, dépouillé de la parure fugitive du printemps, étend jusqu’à la mer ses plateaux brûlés de cailloux et de sable, où de nombreux troupeaux tondent une herbe jaune et rare. Les tapis de fleurs avaient disparu, comme les libellules et les papillons. Une teinte uniforme, d’un gris rougeâtre et sale, couvre tous les lointains du paysage, infini et plat comme l’Océan. Sur la piste poussiéreuse où les « convois-navettes » semaient les cadavres de leurs chameaux, les indigènes circulaient, nombreux et affairés. Ils allaient, poussant leurs ânes, leurs femmes, leurs mules, qui pliaient sous le poids des œufs, des pastèques, des objets de pacotille, destinés à garnir les étalages des mercantis. Par places, les touffes vertes des palmiers nains disparaissaient, chassées par les champs maigres ; quelques figuiers, dans la coupure abrupte d’un ravin, abritaient une source fraîche, qui se perdait dans une « daya » au sol craquelé ; vers le Nord, la forêt de la Mamora soulignait d’un trait sombre l’horizon lointain ; vers le Sud, la déchirure de l’oued Sebou se devinait aux vapeurs légères qui mettaient une gaze matinale sur la silhouette crue des monts. Du ciel, chauffé à blanc, tombait une chaleur lourde que le souffle du sirocco rendait plus épuisante. La brise marine mourait sur les