Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/695

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petites gens : grognards et conscrits, artisans des faubourgs, paysans des marches de l’Est. Il lui plaît tant d’entendre les émules de Coignet grogner, plaisanter, gronder, pleurer, rugir, de les voir marcher, combattre, mourir. Et voici, avec la nation soulevée, tout un peuple en marche : entendez-vous ce chœur formidable qui s’en lie démesurément au-devant de l’Empereur revenant. Et l’autre chœur, celui des soldats de France qui, à Waterloo, tombant, agonisant sur les aigles brisées, crie comme l’autre : Vive l’Empereur !


Si Henry Houssaye fait parler l’opinion, je le répète, c’est qu’il l’interroge avec une scrupuleuse conscience que n’obscurcit jamais un intérêt passionné. Nous sommes aujourd’hui habitués à voir l’historien ne négliger aucune source. Houssaye nous a, dans cette voie, tous précédé », et c’est lui qui a montré la voie. Il a voulu que se confessassent à lui les policiers de Savary et de Fouché, les agens de Talleyrand, les maréchaux, les chambellans, les ouvriers « fédérés, » les préfets, les troupiers, les paysannes. Les Journaux de marche des vieux de la vieille autant que les papiers d’état-major l’éclairent et le guident de Champaubert aux Quatre-Bras, les rapports de police le font pénétrer des salons du faubourg Saint-Germain aux cabarets du faubourg Saint-Antoine. Et il n’est pas jusqu’aux cours de la Bourse et aux recettes de nos théâtres qui ne lui paraissent précieux documens, capables de le renseigner sur l’état des esprits et presque des cœurs.

De cette masse de documens nouveaux jaillit un Ilot de nouvelle lumière. Elle jaillit d’elle-même, encore que le talent si sobre cependant de l’écrivain serve l’historien informé. Lui intervient peu ; mais on sent un cœur qui se comprime ; parfois un cri d’indignation, de joie ou de douleur s’échappe : ce sont alors quelques mots brefs, mais d’autant plus terribles. Relisons le récit de la soirée où, à l’Opéra, on chanta : Vive le roi Guillaume et ses guerriers vaillans ! Comment l’historien, — ici, — eût-il pu se contenir ? Cependant il est presque toujours -impartial. Il sait blâmer l’Empereur, montrer ses erreurs. Les Bourbons lui sont antipathiques, — en 1814 et 1815 ; — mais le jour où, forcé de signer le traité qui dépouille la France, le duc de Richelieu, leur ministre, un émigré rentré, pousse un grand