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des soins filiaux, remplissait le rôle paternel. » Fort différent de son père, il ne cessa de l’admirer. Un jour que nous parlions des Dumas, il me dit : « Le Père prodigue, c’est une belle pièce ; mais il faut donner tort au fils. Un père peut être prodigue ; il n’y a que son (ils qui ne doit pas s’en apercevoir. » Le propos, — dans cette bouche, — me frappa. Arsène Houssaye ne fut jamais aux yeux de son fils un « père prodigue. »


Le 14 août 1859, Henry Houssaye, qui avait onze ans (il était né le 24 février 1848, en pleine journée de barricades), fut mené par son père sur un balcon du boulevard des Italiens : les troupes d’Italie rentraient victorieuses sous une pluie de fleurs. « Ce fut, écrira-t-il, la journée des armes et des fleurs. » Quarante ans après, en effet, l’historien, dans un article vibrant, — comme tous ceux qu’il écrivait, — évoquait l’émotion qui saisit son âme d’enfant. Les grenadiers surtout lui retournèrent le cœur : « Avec leurs longues capotes bleu foncé, leurs buffleteries blanches croisées sur la poitrine, leurs bonnets à poil, ils donnaient la vision des grognards de l’Empire. »

Enthousiasme rétrospectif, diront les sceptiques. Non pas : Arsène Houssaye lui-même ignorait sans doute que ce petit bonhomme, « caporal de huitième au lycée Napoléon, » s’intéressait plus que tout autre à cette apothéose, s’étant fait en secret l’historien de la campagne. Qu’on ne se récrie pas ! L’un des manuscrits les plus singuliers parmi ceux qu’une pieuse sollicitude a fait passer sous mes yeux, est un cahier d’écolier, sur la couverture duquel une main enfantine a tracé ces mots : Guerre de l’Indépendance italienne. Plus bas, cette fois de la forte écriture que nous avons connue, je lis cette autre mention : « Ecrite avec la plus belle insouciance de l’orthographe par Henry Houssaye âgé de onze ans. » Le collégien, enflammé de patriotisme, dépouillait, depuis quatre mois, le Moniteur et, jour par jour, notait les victoires ; parfois il mettait une note personnelle dans ces éphémérides, écrivant qu’à Palestro, nos soldats s’étaient élancés sur les Autrichiens « comme des lions affamés. » Le « caporal de huitième » dissertait, avec un sérieux imperturbable, des alliances et de la force du « Quadrilatère. » Il s’entraînait, ce petit caporal.

C’était dès lors, — si je lis bien les lettres du père, — un