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réponse : « Celui ou celle qui pensent ainsi, par là même sont au-dessous des plus bas de mes héros[1]. »

Quant à Sébastien Mercier, admirateur et disciple du « hibou, » du noctambule Restif de la Bretonne, il fait et refait, dans le Tableau de Paris, la peinture déjà tant faite, et qui sera tant refaite encore, en tons violemment contrastés, de l’opulence et de l’indigence. Sa manière peu originale ne vaut pas qu’on en donne plus d’un échantillon ; prenons, au hasard, celui-ci (Mercier veut prouver que la pauvre est plus misérable, dans les villes, de tout le luxe qui l’entoure) :


Un Lapon, en naissant, a du moins pour apanage un renne ; on lui assigne un second renne quand les dents lui percent. Mais je vois des enfans qui viennent au monde sans pouvoir dire avoir une pomme en propriété.

Les bêtes sauvages ont leurs tanières : et tel malheureux, pressé tyranniquement par les lois mêmes, qui ont fait des propriétés exclusives du moindre pouce de terre ou d’un misérable plancher, n’a pas de quoi reposer sa tête. Il ne pourra habiter un grenier entr’ouvert que sous le bon plaisir d’un maître superbe ; des propriétaires le pousseront depuis l’extrémité de la ville jusqu’au milieu des champs ; tout est pris, tout est envahi.

L’homme, dans nos gouvernemens, en recevant son corps de la nature, n’obtient point des lois civiles une place en propre pour y respirer. On lui accorde l’espace d’un tombeau ; mais celle d’un berceau lui est interdite.

Beaucoup d’hommes n’ont, à la lettre, que, leurs bras pour le service du maître à qui ils sont vendus. Qui ne possède rien est nécessairement l’ennemi de ceux qui possèdent.

Le pauvre n’a presque point de ressources ; il faut qu’il soit malade pour qu’on ait soin de lui. On l’enterre pour rien lorsqu’il est mort, parce que son cadavre infecterait. On le recueille lorsqu’il agonise. Ne vaudrait-il pas mieux prévenir sa maladie, au lieu de ne lui donner des secours que lorsqu’il est près de son terme ?

La foule des nécessiteux augmente chaque jour. Le jeu de ces vastes et dangereuses machines qu’on appelle opérations du ministère, leur rouage,

  1. Les Contemporaines mêlées ou Aventures des plus jolies femmes de l’âge présent (édition Assézat : Les Contemporaines mêlées, introduction). Ce ne sont que des « morceaux choisis, » mais qui suffisent — amplement ! — à se former une idée du tout. Si l’on avait le courage de fouiller les quatorze ou quinze volumes de polissonneries réunies sous le titre de Monsieur Nicolas, on y trouverait les élémens d’une très instructive monographie de l’ouvrier typographe en province et à Paris vers la fin du XVIIIe siècle ; durée et conditions du travail, salaires, logement, nourriture, genre de vie, etc. Ce n’était pas le lieu de l’entreprendre.