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le vernis a recouvert l’argile, la dorure cache le bois. Mais le panneau de gauche n’en paraît que plus noir :


Il ne reste donc dans la masse du peuple que les ouvriers et les laboureurs. Je contemple avec intérêt leur façon d’exister ; je prouve que cet ouvrier habite ou sous le chaume, ou dans quelque réduit que nos villes lui abandonnent, parce qu’on a besoin de sa force. Il se lève avec le soleil, et, sans regarder la fortune qui rit au-dessus de lui, il prend son habit de toutes les saisons, il fouille nos mines et nos carrières, il dessèche nos marais, il nettoie nos rues, il bâtit nos maisons, il fabrique nos meubles ; la faim arrive, tout lui est bon ; le jour finit, il se couche durement dans les bras de la fatigue.

Le laboureur, autre homme du peuple, est avant l’aurore tout occupé à ensemencer nos terres, à cultiver nos champs, à arroser nos jardins. Il souffre le chaud, le froid, la hauteur des grands, l’insolence des riches, le brigandage des traitans, le pillage des commis, le ravage même des bêtes fauves, qu’il n’ose écarter de ses moissons par respect pour les plaisirs des puissans. Il est sobre, juste, fidèle, religieux, sans considérer ce qui lui en reviendra. Colas épouse Colette, parce qu’il l’aime ; Colette donne son lait à ses enfans, sans connaître le prix de la fraîcheur et du repos. Ils grandissent, ces enfans, et Lucas, ouvrant la terre devant eux, leur apprend à la cultiver. Il meurt, et leur laisse son champ à partager également ; si Lucas n’étoit pas un homme du peuple, il le laisseroit tout entier à l’aîné. Tel est le portrait des hommes qui composent ce que nous appelons peuple, et qui forment toujours la partie la plus nombreuse et la plus nécessaire de la nation.


La fin de l’article est employée à combattre « cette maxime d’une politique infâme, » que de tels hommes, les ouvriers et les laboureurs, le peuple, « ne doivent point être à leur aise, si l’on veut qu’ils soient industrieux et obéissans. » Il s’achève à filer des précautions oratoires pour mettre le prince du bon côté, — du côté de l’Encyclopédie ; — faire de lui le premier champion des droits du peuple contre les prétentions de l’aristocratie plus ou moins antique, plus ou moins authentique ; et l’exhorter enfin à garnir le pot du paysan, chaque dimanche, de la poule d’Henri IV, élevée, — c’est le progrès, — à la dignité d’ « oie grasse. » Mais la phrase essentielle, le point culminant du morceau, vers lequel il tend tout entier, demeure cette phrase où je m’arrête : « Tels sont ces hommes (l’ouvrier, le laboureur) qui composent ce que nous appelons peuple, et qui forment toujours la partie la plus nombreuse et la plus nécessaire de la nation. » Là est sa nouveauté, la nouveauté de l’Encyclopédie elle-même, et, si je l’ose dire, sa vertu, sa vigueur créatrice, sa