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vraiment nouveau dans l’Encyclopédie, — que le système suive de plus ou moins près celui de Bacon, et que l’idée de la publication soit plus ou moins directement empruntée à l’Anglais Ephraïm Chambers, — c’est le souffle ; ce qu’il y de vraiment original, d’émouvant au sens étymologique du mot, c’est l’accent, le son de la voix ; car, peut-être avions-nous déjà entendu quelques-unes de ces paroles, mais celles-là mêmes que nous avions entendues n’avaient pas encore sonné ainsi.

Il n’est pas jusqu’à ce thème, en apparence si innocent, la réhabilitation des arts mécaniques, qui, jusque sous la plume habituellement plus émoussée de D’Alembert, ne se fasse par endroits offensif, presque agressif. Le Discours préliminaire rappelle le long dédain où l’esprit a tenu le corps, comme une revanche des temps brutaux où les forces du corps avaient écrasé étouffé les talens de l’esprit. Et il tire de là tout ce développement :


Les arts mécaniques dépendans d’une opération manuelle, et asservis, qu’on me permette ce terme, à une espèce de routine, ont été abandonnés à ceux d’entre les hommes que les préjugés ont placés dans la classe la plus inférieure. L’indigence qui a forcé ces hommes à s’appliquer à un pareil travail, plus souvent que le goût et le génie ne les y ont entraînés, est devenue ensuite une raison pour les mépriser, tant elle nuit à tout ce qui l’accompagne. A l’égard des opérations libres de l’esprit, elles ont été le partage de ceux qui se sont crus sur ce point les plus favorisés de la nature. Cependant, l’avantage que les arts libéraux ont sur les arts mécaniques, par le travail que les premiers exigent de l’esprit, et par la difficulté d’y exceller, est suffisamment compensé par l’utilité bien supérieure que les derniers nous procurent pour la plupart. C’est cette utilité même qui a forcé de les réduire à des opérations purement machinales, pour en faciliter la pratique à un plus grand nombre d’hommes. Mais la société, en respectant avec justice les grands génies qui l’éclairent, ne doit point avilir les mains qui la servent. La découverte de la boussole n’est pas moins avantageuse au genre humain que ne le serait à la Physique l’explication des propriétés de cette aiguille. Enfin, à considérer en lui-même le principe de la distinction dont nous parlons, combien de savans prétendus, dont la science n’est proprement qu’un art mécanique : et quelle différence réelle y a-t-il entre une tête remplie de faits sans ordre, sans usage, sans liaison, et l’instinct d’un artisan réduit à l’exécution machinale ?

Le mépris qu’on a pour les arts mécaniques semble avoir indue jusqu’à un certain point sur les inventeurs mêmes. Les noms de ces bienfaiteurs du genre humain sont presque tous inconnus, tandis que l’histoire de ses destructeurs, c’est-à-dire des conquérans, n’est ignorée de personne. Cependant c’est peut-être chez les artisans qu’il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l’esprit, de sa patience et de