Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/642

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bien que l’Encyclopédie soit en quelque sorte placée sous l’invocation du chancelier Bacon, et que ses auteurs, dans le Discours préliminaire, « reconnaissent ce grand homme pour leur maître, » ce n’est pas seulement, et même ce n’est pas surtout parce qu’ils ont taillé d’une autre façon « l’arbre encyclopédique de la connaissance humaine » qu’ils s’écartent de lui et qu’ils s’en distinguent. Ce n’est pas non plus parce qu’au lieu de ne s’intéresser comme lui aux arts mécaniques qu’en tant qu’ils pouvaient servir « à l’institution de la philosophie, » ils les ont considérés en eux-mêmes et estimés pour leur valeur propre. Avant l’Encyclopédie, les ouvrages techniques, les manuels de tel ou tel art, de tel ou tel métier, ne faisaient pas absolument défaut. Mais justement ou bien ils étaient trop techniques, ou bien ils ne l’étaient pas assez ; le plus souvent ils ne l’étaient pas assez. L’écrivain n’avait fait qu’ « effleurer la matière, en la traitant plutôt en grammairien et en homme de lettres qu’en artiste, » c’est-à-dire en homme du métier. Il fallait quelque chose de moins sec et de moins vague, « de plus riche et de plus ouvrier, » c’est l’expression qu’emploie Diderot, et il conclut : « Tout nous déterminait donc à recourir aux ouvriers. »

Des ouvriers, « les plus habiles de Paris et du royaume, » allaient par conséquent devenir, chacun pour son art, les instructeurs, les informateurs des encyclopédistes, qui, eux-mêmes, sous leur direction, afin de mieux comprendre et faire comprendre, allaient mettre la main au métier ; et trois ou quatre deviendraient, à ce titre, leurs collaborateurs. Le Prospectus ou le Discours préliminaire nomment, à côté de M. J.-B. Le Roy, horloger, « l’un des fils du célèbre M. Julien Le Roy, » de M. Prévost, inspecteur des verreries, de M. Longchamp, brasseur, de M. Buisson, fabricant de Lyon, de M. La Bassée, passementier, de M. Douet, gazier, de M. Pichard, marchand fabricant bonnetier, de M. Fournier, fondeur de caractères d’imprimerie, qui sont évidemment des « maîtres » ou des « entrepreneurs, » des « patrons », des « bourgeois, » M. Mallet, potier d’étain à Melun, M. Barrat, « ouvrier excellent en son genre, » — la bonneterie, — MM. Bonnet et Laurent « ouvriers en soie. » Une pareille collaboration entre gens de lettres et gens de métier, voilà encore qui bouleversait les rangs de la hiérarchie sociale, voilà qui était original et neuf. Mais ce qu’il y a de