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diligence incroyable, talonnés d’ailleurs par l’exempt qui ne les lâcha que dans les montagnes du Var par crainte de leurs pistolets, ils arrivèrent à destination dans la soirée du 16 juillet.

Les limiers du marquis de Mirabeau ne parvinrent à Lyon que huit jours après. Ils perdirent deux jours de plus à surveiller les entours de Mme de Cabris, prudemment rentrée au couvent de la Déserte. Ils finirent par arrêter arbitrairement son valet Saint-Jean et par arracher à cet homme le secret de la retraite de Mirabeau. Ils coururent à Lorgues aussitôt, le 26 juillet au soir, non sans laisser Saint-Jean au séquestre dans la forteresse de Pierre-Scise, sur la Saône, de peur qu’il n’allât donner l’éveil à Mme de Cabris. Ils savaient celle-ci de force à les devancer au gîte. Pour venir de Crasse à Lyon, à cheval, elle n’avait mis que quatre jours.

Briançon avait introduit Mirabeau dans une maison amie située sur la place principale de Lorgues, et cette installation faite avec tout le mystère convenable, il était allé se montrer à Grasse. Ici, pour donner le change, il avait dit qu’il venait faire juger le procès toujours pendant de M. de Villeneuve-Mouans. Un avocat de Draguignan avait bien été commis, en novembre 1774, pour instruire et rendre sentence dans cette affaire au défaut des juges de Grasse, qui tous avaient déclaré s’abstenir ; mais il y avait huit mois que ce juge-subrogé, contrarié, moqué, dégoûté, ne s’occupait plus de rien. Briançon le fît sommer d’avoir à reprendre et clore son information sous trois jours. L’avocat-juge obtempéra ; mais son greffier, mis à la recherche des parties, ne rencontra plus personne, ni querellant ni querellés. Briançon le premier s’était esquivé. Il avait rejoint à Lorgues Mirabeau qui s’impatientait et qui commettait maintes incartades, comme de se promener en plein jour sur la terrasse et dans le jardin de ses hôtes en chantant à pleine voix. L’émouvante beauté de son organe et l’étrangeté non moins frappante de sa figure excitaient la curiosité générale. Un notaire du canton l’avait formellement reconnu.

Hélas ! lorsque le malheureux s’était tenu coi et renfermé, le besoin de tromper l’ennui de ces accablantes journées d’été passées à volets clos et la manie d’écrire lui avaient inspiré une distraction plus funeste que ces promenades et ces chants. Il avait écrit pour Sophie des pages innombrables, où il notait le tohu-bohu de ses sentimens et de ses impressions, de ses