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tout à coup l’avis que Mirabeau allait être appréhendé. C’était encore l’intrépide et opiniâtre exempt payé par la famille de Ruffey qui avait retrouvé sa piste. Les limiers du marquis de Mirabeau battaient toujours la campagne en Savoie et en Suisse.


On était au vendredi 12 juillet. Auparavant, Mirabeau avait convenu avec sa sœur qu’il gagnerait Paris, qu’il s’y réfugierait chez un des Noailles parens et partisans de sa mère, et que de cet asile qu’on n’oserait violer, il réclamerait bruyamment un tribunal de commissaires pour recevoir ses justifications et prononcer entre son père et lui ; déjà la marquise de Mirabeau était avertie de cette arrivée imminente de son fils. Ce plan de Louise était bon et sage. Sophie vivait toujours chez son mari, et celui-ci ne portait aucune plainte ; de ce côté, Mirabeau n’avait donc à se défendre de rien ; et en continuant de soutenir avec force qu’il ne projetait ni n’avait projeté jamais d’enlever Mme de Monnier, il s’engageait, par ces protestations mêmes, à n’en pas risquer de longtemps l’aventure. Or, que lui reprochait-on de plus ? Ses dissipations antérieures ? mais il était maintenant interdit ; ses violences contre M. de Mouans ? il les avait expiées assez durement au château d’If ; son évasion de Pontarlier et de Dijon ? peccadille : un ministre, M. de Malesberbes, la lui avait conseillée assez clairement, en disant à sa mère qu’un prisonnier n’était pas coupable de chercher par tous les moyens à recouvrer sa liberté, et que toute la faute, s’il s’échappait, incombait à ses gardiens. Mais cette alerte soudaine força Mirabeau à prendre sur-le-champ d’autres dispositions. Il eut peur que ses lettres à sa mère n’eussent été interceptées, et qu’on ne l’arrêtât, lui aussi, sur le chemin ou à l’entrée de la capitale. Le plus sûr était de prendre une direction tout opposée, celle de la Provence, et d’aller se cacher à Lorgnes, où M. de Briançon était né, possédait une maison, avait des amis et s’offrait à l’accompagner. Il restait un troisième chemin vers l’Est, qui eût ramené Mirabeau à proximité de Sophie. Il n’en fut pas question. Mirabeau concourait de son plein gré à la manœuvre de sa sœur, qui visait à multiplier les obstacles et à mettre la plus grande distance possible entre sa maîtresse et lui. Sophie était de temps en temps menacée d’une lettre de cachet ; elle faisait tout pour se l’attirer. Elle internée, c’était Mirabeau libre. Il prit ainsi le chemin de Lorgnes avec Briançon. En faisant une