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pourtant pas trop tard pour le secourir, le sauver. En suivant Sophie dans cette ville où M. de Monnier l’avait renvoyée pour qu’elle y fût sous la surveillance étroite de sa famille, et en s’y laissant arrêter, Mirabeau n’avait pas contrevenu aux avis prudens de sa sœur autant qu’il semble et qu’on l’a cru. Il avait provoqué délibérément, croyons-nous, son arrestation. En donnant sa parole de ne point s’échapper, il s’était lié lui-même bras et jambes, de manière à différer le plus possible l’enlèvement de Sophie, sans se donner aux yeux de sa maîtresse le vilain coup d’œil de manquer à ses engagemens envers elle cette habileté lui permettait en outre d’attendre les moyens de s’y soustraire définitivement. Il conjurait les ministres, — en particulier, M. de Malesherbes, apparenté à sa mère, et le comte de Saint-Germain, ministre de la Guerre, — de l’admettre à se justifier devant un tribunal de commissaires, ou de le laisser reprendre du service actif dans un corps de troupes, sous l’œil de chefs impartiaux.

Par malheur, M. de Saint-Germain fit la sourde oreille, et M. de Malesherbes démissionna. La nouvelle de cette démission fut « un coup de foudre » pour Mirabeau. Il se regarda « comme sacrifié » au crédit et à la vengeance de son père qui, de fait, sollicitait sa détention perpétuelle dans une forteresse. Il ne vit plus son salut que dans l’évasion, et gagna les Verrières-Suisse, dans la nuit du 24 au 25 mai. Sa maîtresse s’apprêtait à l’y suivre ; elle en fut empêchée. Mirabeau se jeta alors en Savoie, dépisté sans cesse par un exempt à la solde des parens de Sophie. Le 8 juin, la mère de celle-ci, Mme de Ruffey, signalait à l’Ami des Hommes que son fils se cachait à Thonon sous le nom de comte de Montchevrey. Deux jours auparavant, le fugitif avait, de son côté, fait connaître à Louise et à Briançon sa retraite ; il leur récrivit le 12, dans le même objet, mais avec plus d’anxiété, à la suite d’une visite que venait de lui faire le commandant de Thonon :


O Louise ! ô Pylade ! s’écriait-il, qu’ajouterai-je à mes lettres ? Mon sort s’aggrave à tous tes instans. Je n’ai point de nouvelles. Il me semble que je n’en dois point avoir de vous encore ; mais de Sophie ?… Tout mon être se dissout. Je ne sais que résoudre et je ne puis attendre… Cependant rien au monde que la force ne me fera quitter ce pays que je n’aie des nouvelles positives… Ciel, ô ciel ! quelle sera la fin de tout ceci ? je ne dois pas la hâter… Ah ! Sophie, quel sacrifice je fais à l’amour !