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Le lendemain, sur la fin d’un déjeuner pris à la campagne, dans le voisinage, chez une tante de M. de Briançon, Mirabeau se prit de querelle avec un vieux gentilhomme, le baron de Villeneuve-Mouans, qui l’avait calomnié ainsi que Louise, à propos des affiches diffamatoires de M. de Cabris, et il le roua de coups. Le battu porta plainte en assassinat ; et l’instruction ouverte sur cette plainte ayant impliqué Louise et M. de Briançon comme complices de l’agresseur, dès ce jour, la malignité publique ne les sépara plus. M. de Cabris, déjà « libertin par ennui, » comme Almaviva, en devint aussitôt « jaloux par vanité. » Les rapports avec sa femme s’aigrirent au point qu’elle et lui ne furent plus d’accord que pour se séparer. M. de Cabris eût voulu un divorce complet, une séparation réglée dans les formes. Mais Louise s’y refusait : elle ne désirait qu’un éloignement à l’amiable et momentané. Six mois se passèrent là-dessus en débats, en querelles, en esclandres parfois.

Les suites de sa rixe avec le baron de Villeneuve-Mouans avaient été dures pour Mirabeau. Il avait envoyé sa femme chez son père pour implorer une punition douce et l’anéantissement de la procédure engagée. L’Ami des Hommes le fit incarcérer au château d’If, en rade de Marseille. Louise parvint à le voir sur ce rocher, malgré les défenses. Elle fut assez heureuse, comme il s’était épris de la cantinière de la forteresse et avait résolu de s’en évader avec elle, pour l’en dissuader. La cantinière s’enfuît seule, et M. de Briançon la recueillit. Mais le cantinier, son mari, porta plainte. Alors, le marquis de Mirabeau obtint de faire transférer son fils au château de Joux, en Franche-Comté, pour le mettre hors de portée de sa sœur, à laquelle il imputait toutes ces folies tapageuses. Ses mesures furent déjouées, quoique bien prises ; avant de se rendre à Pontarlier, Mirabeau trouva moyen de passer huit jours, libre sur parole, à Grasse et dans ses environs, et d’y concerter avec Louise sa conduite dans les affaires de leur mère, qui entraient dans la crise. Le frère et la sœur se dirent adieu, en se jurant un accord, un dévouement et une amitié à toute épreuve. M. de Briançon s’en porta garant. « Tu seras mon Pylade, » lui avait dit Mirabeau en l’embrassant. Mais ils ne furent pas dix ans sans se rejoindre.