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l’avons relaté naguère, ici même[1]. Rappelons-en l’essentiel. Il y avait peu de jours que Mirabeau avait surpris une correspondance qui ne lui laissait aucun doute sur ’infidélité de sa femme ; mais il lui avait pardonné ; et non content, il n’avait pas voulu qu’on attribuât à son ressentiment la rupture d’un mariage projeté entre le mousquetaire Gassaud, séducteur de la faible comtesse, et une fille du marquis de Villeneuve-Tourrettes. Ayant donc rompu son ban qui le confinait à Manosque, Mirabeau s’était rendu au château de Tourrettes, situé à deux lieues de Grasse ; et il en venait après y avoir renoué les fiançailles. Au moment de reprendre la route de Manosque, à cheval comme il était venu, il n’avait pu oublier que sa randonnée le rapprochait d’une sœur toujours chérie, presque aussi éprouvée et aussi méconnue que lui. Il comptait la trouver d’autant plus accessible à la compassion qu’elle lui était attachée non seulement par cette solidarité du malheur, mais par une identité certaine d’intérêts, de visées et de sentimens.

Cependant, pour rentrer si droit dans le cœur ulcéré de Louise, il avait fallu que Mirabeau s’y ménageât un autre truchement que son infortune ; il avait fallu même que ce truchement fût là, présent à l’entretien, pour couper court aux paroles récriminatoires et sceller la réconciliation. Il est temps de le nommer : c’était l’amant de Louise, un bel officier de vingt-trois ans, ami d’enfance de M. de Cabris. Mirabeau, qui le tutoyait, avait dû faire sa connaissance dans l’expédition de Corse. Denis de Jausserandy-Briançon, seigneur de Verdache, avait plus de figure que de naissance et de bien ; mais il était apparenté à de bonnes maisons, et sa réputation était excellente. Entré tout jeune au service, il y avait débuté par faire en Corse les deux campagnes de 1760 et 1770, à la tête de trente volontaires ; un coup de feu dans une embuscade lui avait brisé la clavicule droite, et le grade d’aide-major au régiment Royal-Roussillon avait été sa récompense. Il était récemment passé mousquetaire dans la deuxième compagnie. Au total, un brillant casse-cou, de caractère faible et violent. Louise le subjuguait toutefois si bien qu’elle avait pu garder sa liaison avec lui parfaitement couverte à tous les yeux. Mirabeau allait faire éclater ce secret.

  1. Cf., dans la Revue du 1er décembre 1906, la Comtesse de Mirabeau, II, p. 88 et suivantes. — Cette publication a été développée, sous le même titre, en un volume édité par la librairie Perrin.