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casanières, vétilleuses, intangibles, et, pour tout dire, fort ressemblantes à des manies.

En peu de jours, Louise eut pénétré le fond des caractères et délibéré sa conduite avec une sûreté et un bonheur qui séduisaient chacun. Contente de tout et de tous, elle écrivait le 30 décembre à sa sœur Caroline : « Quelque soin que tu aies toujours pris de m’annoncer du bonheur, tu n’as jamais pu le prédire au point où il est. » Jusqu’aux oliviers qui avaient à ses yeux le plus beau vert du monde ! M. de Clapiers s’applaudissait de son ouvrage ; « et moi, disait le bailli, cela me met du baume dans le sang. »

Mais après l’étourdissement de ce qu’elle appelait « le tourbillon de l’arrivée, » Louise déchanta. Elle serait tombée de l’activité dans la nonchalance, de la déception dans le découragement, si son amour-propre ne l’avait retenue. Elle voulait coûte que coûte réussir sous les yeux de son oncle, afin de s’attirer la confiance et l’applaudissement de son père. Elle avait beau faire cependant, elle ne pouvait aimer cet entourage morose et glacial. D’instinct, elle chercha du soutien dans l’affection de MM. de Lombard-Gourdon, ses beau-frère et neveu ; mais elle s’y porta avec un empressement si vif que le bailli lui représenta que le père était veuf, que le fils était de son âge, et que les soupçons vont vite en petite ville oisive. En vérité, ce faux pas vérifiait trop tôt l’opinion d’une vieille dame retirée aux Dominicaines de Montargis, qui répétait que « c’était faire les funérailles de l’esprit et des agrémens que de les envoyer en province. »

Certes, un grand théâtre comme Paris eût mieux convenu à Louise ; mais elle ne le regrettait pas. Elle ressentait davantage la privation d’un attachement irréprochable et propre à tromper l’appétit de son cœur, en donnant pâture à son intelligence. Parce qu’elle entendait ne pas céder aux conseils licencieux du siècle, elle n’avait pas un besoin moins vif de donner cours à son imagination et à sa sensibilité refoulées. Et voilà justement qu’à l’heure où elle souffre de cette angoisse du vide, débarque à Toulon un jeune officier de la légion de Lorraine, retour de l’expédition de Corse où il s’est distingué, âme ambitieuse de renom, génie précoce, cœur passionné, fait pour s’élever à tout, étonnant par la variété des talens et des connaissances, superficiel encore, mais le fonds si riche ! optimiste, sûr de lui,