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là, remettre à novembre. Les du Saillant et Boniface, ne pouvant attendre, partirent.

Le marquis de Mirabeau s’en félicita tout à coup ; ce départ ne rompait qu’à temps entre ses deux filles, Louise et Caroline, une intimité dangereuse pour son repos domestique. C’était sa maîtresse, Mme de Pailly, qui lui avait dessillé les yeux à cet égard. Elle avait deviné juste.

Ame active et entreprenante, exaltée par son idéal d’harmonie et de justice, et d’année, en année plus sensible à la disgrâce ignominieuse de sa mère qu’une lettre de cachet tenait écartée depuis huit ans de son foyer et de ses enfans, Louise avait conçu le dessein d’intervenir, aussitôt mariée, dans cette querelle meurtrière de ses parens et de ramener entre eux, par sa médiation désintéressée, une paix honorable et avantageuse à chacun. Elle comptait sur l’approbation de son mari, comme sur le concours de son frère aîné et de son oncle, tous deux ennemis jurés de Mme de Pailly ; et d’abord, elle s’était assuré le suffrage de Caroline, qu’elle avait obtenu sans peine, tant il y avait de bonté et d’honnêteté dans son dessein, et de mollesse, de docilité bovine, dans le caractère folâtre de Mme du Saillant. Mais l’Ami des Hommes regarda cette entente comme une trahison envers lui. Eh quoi ! sa Louise qu’il avait tant chérie et prônée, pour l’établissement de laquelle il se saignait à blanc, il la devait regarder comme un serpent auquel il faudrait un jour écraser la tête d’un coup de talon ? Soit, il en ferait le sacrifice. Toutefois, au moment d’éloigner cette vipère à huit cents lieues, il jugea inutile de lui laisser voir sa répulsion ; il se contenta de la faire épier et de se tenir sur ses gardes.

A la fin, Jean-Paul de Cabris, le futur, annonça son départ de Crasse pour le 23 octobre, et comme disait le bailli, les éléphans du roi Darius se mirent en marche. En vérité, disait-il encore, il semble que ce soit moi qu’on marie à la lenteur dont tout cela va ! Jean-Paul venait seul ; ses parens étaient trop caducs, et ses trois beaux-frères, ainsi que ses sœurs, étaient trop occupés sans doute pour l’accompagner. En passant par Aix, il se joignit au bailli et à M. de Clapiers, chargés d’être ses mentors jusqu’au Bignon. Chemin faisant, ceux-ci ne lui découvrirent encore que d’heureuses dispositions.

Jean-Paul montrait toute sorte de délicatesses et de