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un autre officieux, le marquis de Clapiers-Saint-Jean, lieutenant de vaisseau retraité, qui était le cousin de M. de Cabris. Bien que marié et père de quatre enfans, M. de Clapiers rêvait d’abandonner sa famille pour vivre au château de Mirabeau, dans l’ombre du bailli, à le louer et à le servir comme un dieu. Il n’y avait pas d’être plus négociateur par nature ; et son sobriquet de Mon Bon, mi-louangeur mi-satirique, peignait bien sa nature liante, tendre et subordonnée, mais un peu caillette et mouche du coche. Il ne tarda guère à remporter un avantage marqué. C’était une réponse du vieux marquis de Cabris nettement favorable en principe à l’union proposée. De son côté, le marquis de Mirabeau en était toujours plus entiché ; ce petit Cabris lui semblait « un parti immense ; » et comme M. de Clapiers lui avait prêté quinze mille livres par une suite de sa dévotion au bailli, il s’était écrié : « Ce procédé a décrété dans mon cœur qu’ils auront ma fille coûte que coûte ! » Ce n’était pas un vain serment, il eut l’occasion de le prouver aussitôt. M. de Clapiers venait d’apprendre qu’il y avait de la folie chez les Cabris et qu’une sœur du jeune homme en avait ressenti des « influences. » La réalité était bien pire : M. de Cabris père, après sa mère et avant sa fille, avait eu la tête dérangée pendant une bonne partie de son existence ; mais il était guéri, on n’en parlait plus.

À cette révélation, l’Ami des Hommes feignit de ne plus songer à ce parti pour sa Louise et de s’en aller chercher ailleurs. Le bailli le ramena d’un mot. Son chevalier de Malte était venu lui expliquer que « l’accident » de Mlle de Cabris avait eu des causes « absolument personnelles, » que « cela » avait été très léger, qu’elle était maintenant dans tout son bon sens : « Cet homme, concluait le bailli, connaît bien mieux cette maison que M. de Clapiers. Le jeune homme est tant pour le corps que pour l’esprit de la meilleure espérance. » — « Je suis bien aise, lui répondit l’Ami des Hommes, de savoir ce que tu me mandes sur l’article qui nous avait tant effrayés. » Et il ne s’en informa pas davantage. L’idée de croiser la folie de deux races (car la douairière de Mirabeau était à présent folle furieuse, comme sa petite-fille) avait pourtant de quoi rebuter un père dont c’était la prétention de ne travailler qu’en vue de sa postérité la plus lointaine.

Il semblait qu’ainsi on dût aller vite. Mais le jeune homme