Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heurter, au moins ouvertement, les sentimens fanatiques de la masse : ils savent trop ce qu’il leur en coûterait et aussi ce qu’ils ont à gagner en les respectant. L’unique moyen d’action qu’ils puissent avoir sur le peuple ignorant et crédule, c’est l’appel au sentiment religieux.

C’est aussi, pour les Musulmans, l’unique moyen d’union. Seule la religion est capable de rassembler en un faisceau compact toutes les forces éparses de l’Islam. On affecte de traiter avec dédain les menées panislamistes des Jeunes-Turcs et des Jeunes-Égyptiens : il n’en est pas moins vrai que, grâce à leurs efforts, il existe aujourd’hui un lien de solidarité internationale, qui ne fera que se resserrer avec le temps, entre les innombrables fidèles du Prophète. Bien plus que nos opérations militaires dans leurs pays, nos projets de colonisation méthodique, d’exploitation industrielle et agricole depuis l’Egypte jusqu’au Maroc, tout ce vaste plan de conquête économique et politique a fini par réveiller en eux l’instinct de conservation, et cet instinct s’affirme sous sa forme la plus puissante et la plus redoutable : l’union des âmes dans la foi.

Désormais, les Musulmans de tous les pays proclament leur volonté bien arrêtée de cesser leurs divisions intestines, pour se retourner tous ensemble contre nous. Cela devient un mot d’ordre d’un bout à l’autre de l’Islam : ils ne veulent plus porter les armes contre les Musulmans leurs frères. Il y a quelques mois, le maire d’Alger, M. Charles de Galland, prit l’initiative de convoquer, en séance extraordinaire, les notables indigènes de la ville, pour les consulter sur une mesure sensationnelle, dont il était question dans les milieux gouvernementaux : l’imposition du service militaire obligatoire à nos sujets musulmans d’Algérie. Presque tous s’y montrèrent énergiquement opposés. Des discours violens furent prononcés. Un des orateurs reprocha à l’administration française de n’avoir pas tenu les promesses faites au début de la conquête et de n’avoir point respecté les croyances religieuses des Algériens : « Les Musulmans, conclut-il, n’ont pas marchandé leurs sacrifices à la France : ils sont prêts à faire encore celui-là, pourvu que les garanties du culte leur soient assurées. » Et comme le maire lui demandait en quoi consistait, pour lui, ces garanties, il répondit ceci : « Les garanties nécessaires se résument en celle de ne pas contraindre les musulmans à combattre leurs coreligionnaires. »