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Leur point de vue est faux, parce qu’il n’est ni national, ni pratique. Si, au lieu d’être le touriste qui passe, ils étaient le colon qui réside, ils jugeraient sans doute autrement.

Il ne faut pas craindre de le répéter, puisqu’en France, on a tant de peine à l’admettre : les Arabes ne peuvent nous avoir et ne nous ont effectivement aucun gré de tout ce que nous faisons pour eux. Du moment que nous sommes les maîtres chez, eux, ils nous considèrent comme des ennemis, — des ennemis qui, tantôt, les écrasent par fanatisme et tantôt les ménagent par faiblesse.

Pour ce qui est du peuple, il est trop clair qu’il ne peut que nous détester. Nous l’exaspérons, en l’arrachant à sa paresse séculaire, en l’obligeant à travailler pour vivre, du travail pénible et continu de l’ouvrier ou du manœuvre européen ; nous l’affamons, en augmentant le prix des vivres dans des proportions fantastiques à ses yeux. Nous le dérangeons dans son train de vie et ses habitudes, avec nos autos, nos tramways, nos chemins de fer, nos usines. Tous ses instincts répugnent à notre administration et à notre législation. Du dernier de nos gardes champêtres ou de nos gardes forestiers aux représentans de notre haute magistrature, il hait tous nos fonctionnaires. Notre conception rigoureuse de la propriété, les règles fixes de notre cadastre, il les abomine. Enfin notre fiscalité lui apparaît comme un odieux brigandage. En Tunisie, les impôts continuent à être perçus par des agens indigènes. On m’assure que ceux-ci volent effrontément leurs compatriotes. Des agens français seraient forcément plus honnêtes. Mais les Arabes n’en veulent à aucun prix. Ils préfèrent être exploités par des coreligionnaires, parce qu’ils savent que ceux-ci se laissent plus facilement corrompre. L’Arabe n’a pas le sentiment de la justice. La grâce et la faveur sont, pour lui, les grands moyens de gouvernement de l’autorité divine ou humaine.

Quant à la bourgeoisie éclairée et lettrée, elle ne considère au fond, qu’une chose dans notre domination : c’est qu’elle a perdu ses places et ses prébendes, qu’elle ne peut plus vivre dans l’oisiveté de grasses sinécures. Ils en sont tous là. Pressez un peu un Jeune-Turc, un Jeune-Egyptien, un Jeune-Tunisien, lorsqu’il récrimine contre l’occupation européenne, vous constaterez en fin de compte que son plus gros grief contre nous, c’est son exclusion des hauts emplois largement appointés. Il