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l’espèce, qui avait fait admettre ces dangereux procédés de restauration, détermina des mesures moins justifiables encore. On prit l’habitude d’incorporer à des produits récens, au sortir de fabrication, de vieilles poudres ainsi radoubées ou remalaxées. Et, n’en étant pas fier, le fournisseur indélicat qu’était l’administration militaire osa dissimuler une aussi grave modification. Il inscrivit sur les caisses contenant des mixtures si suspectes la seule date des élémens neufs qui s’y trouvaient mêlés.

De sorte que l’âge officiel n’était qu’un véritable trompe-l’œil. Ainsi, à bord de la Liberté, il aurait existé des poudres de 1886 repassées en fabrique en 1890, 1895, 1903 et 1907. On attribua d’ailleurs aux lots, pour baptême, l’époque non de leur fabrication mais d’une opération administrative pouvant en différer d’un an, comme la commande ou la livraison. On conçoit donc la faible valeur pratique des prescriptions ministérielles obligeant à signaler les munitions âgées de plus de six ans, ou même de l’initiative prise par M. Delcassé, enjoignant de débarquer toutes celles de plus de quatre ans.

Pour avoir le droit ou le pouvoir d’en agir avec un pareil sans-gêne, il fallait que le service des Poudres détînt un monopole d’Etat. A nulle industrie libre il n’eût été permis de cumuler les trois fonctions d’auteur du cahier des charges, de fournisseur et de contrôleur. Les vices inévitables du monopole paraissent encore mieux dans les malfaçons qui, à la poudrerie du Pont-de-Buis en particulier, vinrent aggraver la situation. Le seul contrôle exercé au nom de la marine et bien superficiellement, puisqu’il n’atteint que les produits terminés, ressortit à l’Artillerie de marine qui doit prendre livraison des poudres en caisses. L’opération se passe aux poudreries. Toute caisse admise doit être plombée au moyen d’une pince appartenant à la marine. On prétend que ces pinces étaient souvent laissées entre les mains du personnel fabriquant et que, par toutes sortes de fraudes, on faisait accepter des produits inacceptables. Il est certain que les directeurs de poudrerie, privés de tout contact avec la marine, ne devaient envisager que comme des réalités bien lointaines et bien indistinctes les conséquences de leurs malfaçons dans la vie du bord. Quant à l’officier d’artillerie, il ne met pas le pied dans les escadres et n’a pas à faire emploi des munitions ; il ne sentait donc pas sa responsabilité pratiquement engagée dans l’exactitude du contrôle dont