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sorti de la poudre, à mesure que son dissolvant résiduel s’évapore. Il s’y trouve donc un mélange détonant qui s’enflamme et communique le feu à tous les objets combustibles. Les cartouches partent les unes après les autres ; la soute se remplit de flammes, ses parois de fer deviennent incandescentes ; et quand la température est assez élevée, une décomposition totale violente les défonce, portant l’incendie dans les soutes voisines et partout sur le bateau. Cet intervalle laissé à l’équipage pour tenter d’étouffer le fléau, ce répit bien court et bien chanceux, on a pu le mesurer ; il est de 20 minutes environ ; c’est le temps qui sépare, sur l’Iéna comme sur la Liberté, les premières détonations intérieures de l’explosion finale.


III

Savoir, c’est pouvoir : la connaissance des phénomènes n’a d’autre intérêt que de servir à se mettre à l’abri des dangers, à venir. La sécurité, si nous l’obtenons, désormais, nous aura coûté assez cher, au prix de Lagoubran, de l’Iéna et de la Liberté : il serait inexcusable de ne pas tirer de ces cruelles leçons tout le profit qu’elles comportent. On n’avait pas attendu les premiers accidens pour prendre des précautions. Néanmoins, il fallut ceux qui, de 1893 à 1896, marquèrent la vieillesse des premiers lots de poudre B fabriquée vers 1886 ou depuis lors, pour montrer la nécessité de pousser plus loin la prudence. On chercha donc un moyen de prolonger la vie de la poudre. Puisque le dissolvant résiduel forme, tant qu’il subsiste, la garantie de la stabilité chimique, on songea à [faire appel à un dissolvant s’évaporant moins vite que l’alcool. La simple addition d’un élément approprié : urée, aniline, diphénylamine, etc., permettait d’aboutir au résultat : l’inventeur de la poudre B, M. Vieille, s’en tint à l’alcool amylique, doué d’un moindre pouvoir stabilisateur, mais qui présentait l’avantage de nécessiter de moindres changemens dans la fabrication, et d’utiliser, d’une part, les études déjà faites, d’autre part, le stock existant. Les poudres fabriquées à partir de ce moment sont désignées par les lettres AM, suivies d’un chiffre qui indique le pourcentage d’alcool amylique. Celui-ci, pris nu début dans la proportion de 2 pour 100, a été porté à 8 pour 100 dans les poudres AM8, dont les premières sont de 1903.