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semblent remplacer des œuvres volées ou détruites. Mais les délicates marges de marbre blanc, creusées en forme de feuilles de chêne ou d’acanthe, s’enroulent encore autour de ces miroirs vides. Et dans l’épaisseur du mur que franchit la porte, six autres médaillons prolongent, comme des échos, ce que disent les premières figures. Derrière la Musique, un oiseau, un rossignol sans doute, avec l’inscription χαιρε προκνη ; derrière l’Orphée, un singe vêtu d’une collerette avec un miroir ; derrière la Minerve, le hibou ; derrière la mystérieuse figure qui par le Livre dompte la Mort, un paon ; enfin, derrière les médaillons vides, un léopard et deux pigeons.

Regardons autour de nous. Les murs sont tapissés de marqueteries d’un beau jaune violon de Crémone, noires dans les creux. Voici, peu à peu, visibles, des villes fantastiques, des architectures de palais entassés, des instrumens de musique : une viole, un virginal, un luth : à chaque coin, on découvre une pensée présente. Les fibres des bois divers s’arrangent pour figurer une portée de musique, la notation d’un air populaire du XVIe siècle, un air français dont les premiers mots sont écrits : Prendes sur moy, avec le nom du célèbre musicien flamand Okenghem. Sur un petit étendard gonflé comme une voile, on lit aisément ISAR et en dessous ELLA. Il y a plus d’ « intentions » dans ces panneaux quatre fois centenaires que sur un buffet de Gallé.

Quand on lève les yeux vers la voûte, on se sent encore dominé par une pensée mystérieuse. En un écheveau d’or terni sur un fond d’un bleu sombre, les entrelacs, les tiges et les feuilles d’acanthe ou de lauriers, les rubans et les nœuds se déroulent, se mêlent, se rejoignent, s’enroulent, semblent aussi confus que la voûte d’une forêt. Puis, peu à peu, comme dans la nuit étoilée, on distingue les constellations, voici que dans ce fouillis de points d’or, on reconnaît des symboles. Voici l’α et l’ω, commencement et fin de tout ; voici les gerbes formées par les cartes du lotto, symboles du hasard qui régit les destinées humaines, voici un candélabre en triangle, duquel une seule lumière brille encore et qui rappelle, avec les lettres U. T. S., la devise choisie par la marquise aux heures sombres où il ne lui restait plus qu’une chose au monde, l’espérance : unum in tenebris sufficit ; voici la portée musicale avec les clefs singulières et les notes mystérieuses que nul n’a jamais pu déchiffrer. On les appelle les Pauses, ou les Silences, bien que