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elle lui en envoie une copie, mais elle le prie de la tenir sous clef et de ne permettre à personne de la lire, car elle ne veut pas que ces vers tombent dans le domaine public. Elle a un Eustathium grec, qu’elle prête à son cousin César d’Aragon, mais en le priant de ne pas permettre à beaucoup de gens de le voir, pour ne pas en diminuer la valeur. Elle veut bien se dévouer aux siens et leur donner tout ce qu’elle a, mais non point un objet de collection, — pas une pièce de musée !

Au lendemain de la bataille de Fornoue, où les stradiots ont pillé le camp de Charles VIII, et notamment les admirables tapisseries qui suivaient toujours le Roi, le marquis Gonzague décide d’envoyer ces merveilles à sa belle-sœur Béatrice d’Este, sans doute pour se concilier les bonnes grâces de Ludovic le More. Isabelle, consternée, ne refuse pas de lui obéir, mais ne lui obéit pas non plus, et proteste en ces termes :


Très illustre seigneur, Votre Excellence a exprimé le désir que j’envoie les quatre pièces de tapisserie qui appartenaient au roi de France, afin que vous en fassiez présent à la duchesse de Milan. Il va sans dire que je vous obéis, mais dans cette occasion, je dois dire que je le fais avec beaucoup de répugnance, car, à mon avis, ces dépouilles royales devraient rester dans notre famille pour perpétuer la mémoire de vos glorieuses actions, desquelles nous n’avons pas, ici, d’autres souvenirs. En les donnant à d’autres, vous semblez abandonner l’honneur de l’entreprise en même temps que ces trophées de la victoire. Je ne vous les envoie pas aujourd’hui, parce qu’il faut pour cela une mule, et aussi parce que j’espère que vous saurez trouver quelque excuse à faire à la duchesse, lui dire, par exemple, que vous m’aviez déjà donné ces tentures. Si je ne les avais pas vues, je n’y tiendrais pas tant ; mais comme vous me les avez données en premier lieu et qu’elles ont été acquises au péril de votre vie, je ne m’en séparerai que les larmes aux yeux. Toutefois, comme je l’ai déjà dit, j’obéirai à Votre Excellence, mais j’espère recevoir en réponse quelques explications. Ces draperies auraient mille fois plus de valeur qu’elles n’en ont, si elles avaient été acquises d’une autre façon, je serais heureuse de les abandonner à ma sœur, la duchesse, que j’aime, comme vous le savez, et que j’honore de tout mon cœur. Mais, étant données les circonstances, je dois confesser qu’il est très dur pour moi de m’en séparer. — Mantoue, le 24 juillet 1495.


L’histoire des marbres d’Urbino est plus typique encore. En juin 1502, elle jouissait des plaisirs de la villégiature dans ses beaux jardins de la villa de Porto avec son amie préférée qui était sa belle-sœur, Elisabetta Gonzague duchesse d’Urbino, lorsque, tout d’un coup, le mari de celle-ci, le duc d’Urbino,