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Cet artiste étranger n’est autre que Giovanni Santi, d’Urbino, le père de Raphaël. D’ailleurs, il ne réussit pas mieux que l’indigène. « Très illustre Madame et très chère sœur, pour satisfaire Votre Seigneurie et non parce que notre figure est assez belle pour mériter d’être peinte, nous vous envoyons, par Simone da Canossa, un portrait sur panneau, de la main de Zohan de Sancte, peintre de la duchesse d’Urbino, qui a la réputation de faire ressemblant, bien que, d’après ce que nous entendons dire, il parait que celui-ci pourrait nous ressembler davantage… »

Quelques mois après, c’est Isabelle d’Aragon qui veut avoir le portrait de la marquise. Par qui, cette fois, le faire peindre ? Mantoue a échoué, Urbino a échoué. On va s’adresser à Parme. Le peintre Gian Francesco Maineri y mettra tous ses soins, mais hélas ! sans plus de succès. Le portrait achevé, Isabelle l’envoie à Milan, par le maître de cavalerie Negro ; mais en demandant à Ludovic le More la permission d’offrir ce souvenir à Isabelle d’Aragon, elle ne cache pas son dépit : « Je crains d’ennuyer, non seulement Votre Altesse, mais l’Italie entière avec tous mes portraits, mais je ne pouvais refuser aux instantes prières de la duchesse. J’envoie celui-ci, qui n’est pas réellement bon et qui me fait plus grosse que je ne suis[1]… » Ainsi donc tous les peintres qui ont fait son portrait, d’après nature, ont échoué. Si l’on essayait de la peindre sans la voir ?… C’est sa sœur, Lucrezia d’Este, mariée à Annibal Bentivoglio, qui a cette belle idée. A Bologne où elle règne, elle entreprend de la réaliser, avec l’aide de Francia. La marquise envoie une esquisse ou dessin, d’après lequel Francia tente de faire ce portrait. Lucrezia se tient derrière lui et lui dicte la couleur et l’expression. On essaie deux fois et on échoue. Le peintre finit par se dérober à la tutelle de Lucrezia et il fabrique, d’imagination, une figure qu’on envoie à Isabelle. Cette fois, elle est ravie : « En vérité, vous m’avez faite beaucoup plus belle par votre art que la nature ne m’a jamais faite… » Mais les yeux sont trop noirs… Tous les éloges ne sont que pour en arriver là. Isabelle demande à Lucrezia si le peintre ne pourrait pas les reloucher et les faire plus clairs. Ou se figure la stupeur des Bolonais quand ils reçoivent cette lettre ! Lucrezia répond : « Le

  1. « Ritrovadomi questo anchor non mi sia molto simile, per essere uno poco piu grasso che non sono io… »