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peu plus près le caractère des jeunes figures : le violoniste qui joue, le nez en l’air, en cherchant son inspiration dans le ciel, l’historien ou le poète coiffé d’un chaperon à plumes, qui tient son encrier comme une coupe, nous y reconnaîtrions peut-être les familiers de la marquise : les Niccolo da Corregio, les Mario Ecquicola, les Lorenzo da Pavia.

Nous reconnaissons, en tout cas, le lieu idéal où ils vivent : c’est ce pré « garni d’herbe et enrichi de diverses fleurettes variées de couleurs, ces bosquets sombres et remplis d’une révérence solitaire, cette belle fontaine industrieusement cachée en la roche vive, » que Pietro Bembo dépeint, comme l’idéal d’un parc, au début de ses Asolani. Tout cela n’est pas de la bonne peinture, mais c’est une chose qu’on regarde longtemps : elle transporte la pensée dans une région lointaine, où n’entre plus aucune des réalités de la vie. Le guerrier romain et la Diane chasseresse font bonne garde. Aucun objet n’est plus utile à rien. Aucun geste ne peut aboutir à un résultat raisonnable. Tous les regards, par une merveilleuse chance, vont hors du tableau, et ces âmes, absentes les unes des autres, qui semblent aussi absentes d’elles-mêmes, forment bien une couronne idéale à la femme qui veut régner dans le royaume de la pensée pure.

Nous n’avons pas, non plus, par écrit, l’invenzione du Parnasse, car Mantegna l’a peint, étant à Mantoue, sous les yeux de la marquise, et nous en sommes réduits, pour le déchiffrer, à nos propres lumières.

Au-dessus d’un rocher phénomène, troué, en la forme d’un pont naturel, un jeune homme cuirassé et une jeune femme nue sont debout, épaule contre épaule, renversant l’un vers l’autre leurs têtes amoureuses. Au-dessous, neuf jeunes pensionnaires dansent une sorte de ronde et leurs dix-huit petits pieds battent du bout le sol, avec infiniment plus d’esprit que n’en ont leurs neuf têtes, selon la mesure que leur donne un pauvre diable de harpiste assis dans un coin. Dans l’autre coin, une rosse lamentable, velue, poilue comme un ours, tachetée comme un paon, ailée comme une volaille, regarde son maître avec un tendre reproche de l’avoir déguisée de façon si ridicule pour la conduire en si belle compagnie. Quelques menus incidens égaient encore cette partie de campagne : un jeune polisson, qu’on a eu le tort d’y amener, souffle les pois de sa sarbacane au nez d’un pauvre habitant des cavernes, sans doute occupé à faire