Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une situation politique. Voulons-nous ou ne voulons-nous pas rester les amis de l’Espagne ? Tout est là : nous sommes heureux de constater que la presse française commence à le comprendre. Le ton qu’elle affectait à l’égard de l’Espagne s’est sensiblement modifié depuis quelques jours ; il ne nous reste qu’à exprimer le souhait que le ton de la presse espagnole se modifie aussi à notre égard. Nous ne pouvons qu’y gagner de part et d’autre.

On reproche à M. Delcassé, qui était ministre des Affaires étrangères en 1904, le traité qu’il a fait alors avec le gouvernement de Madrid. Nous lui reprocherons, nous, non pas d’avoir fait ce traité, mais d’avoir soulevé sans que rien l’y obligeât et entrepris de résoudre dans son ensemble cette question du Maroc, si délicate, si complexe, si redoutable, alors que la situation générale de l’Europe et la nôtre propre ne nous permettaient pas de la résoudre conformément à nos légitimes ambitions africaines, telles que notre passé nous autorisait à les avoir, telles que notre avenir exigeait peut-être que nous les fissions prévaloir. Il était hors de doute que ces ambitions, avouées à un moment où elles n’étaient pas pleinement réalisables, en éveilleraient d’autres auxquelles il faudrait de manière ou d’autre faire leur part. M. Delcassé n’a pas tardé à le comprendre et voilà pourquoi, poursuivant son idée fixe et voulant dégager la question marocaine des obstacles dont elle était hérissée, il a fait des arrangemens successifs avec l’Angleterre, l’Italie et l’Espagne. Plût au ciel qu’il en eût fait aussi, à la même heure, avec l’Allemagne ! Nous nous en serions probablement tirés à meilleur compte qu’aujourd’hui et nous aurions épargné à l’Europe, et à nous-mêmes, les agitations angoissantes de ces dernières années. Quoi qu’il en soit, M. Delcassé a conclu un traité avec l’Espagne, et il a eu, étant donné l’œuvre politique qu’il avait entreprise, parfaitement raison de le faire. Nous ne pouvions pas, dans la prévision des complications qui pouvaient, qui devaient se produire, des oppositions qui pouvaient, qui devaient se rencontrer, nous faire de l’Espagne une ennemie, ce qui n’aurait pas manqué d’arriver si nous n’avons pas fait avec elle un arrangement équitable et même généreux. Indépendamment de ce motif, comment n’aurions-nous pas reconnu les droits que son histoire donne à l’Espagne sur le Maroc ? Nous sommes une trop grande nation pour ne pas sentir la grandeur des autres. L’Espagne est allée au Maroc, elle y a versé son sang avant nous, longtemps avant nous, et quand nous nous sommes arrêtés à sa porte en 1845, elle a continué d’y faire des expéditions où elle a trouvé, il est vrai,