Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/480

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lation. Nos lecteurs, en particulier, n’ignoraient pas que nous avions reconnu à l’Espagne une zone d’influence s’étendant à tout le Nord du Maroc, et lorsqu’elle est allée à Larache et à El-Ksar, nous avons dû reconnaître qu’elle avait strictement agi dans l’intérieur de cette zone. Le seul point qui était alors incertain pour nous, et nous avouons qu’il l’est encore aujourd’hui, était de savoir si l’Espagne n’avait pas manqué à une partie de ses engagemens, en occupant sa zone sans entente préalable avec nous, entente que nous croyions obligatoire de sa part, et que l’article 2 du traité lui impose en effet. Pendant une période de quinze ans, l’Espagne ne pouvait rien faire sans s’être mise d’accord avec la France ; elle ne l’a pas fait ; les circonstances pouvaient en quelque mesure excuser son action, mais non pas la légitimer. Mais il y a l’article 3 qui semble être en contradiction avec le précédent ou qui y apporte une exception. Sa rédaction, d’ailleurs, est loin d’être limpide ; la voici : « Dans le cas où l’état politique du Maroc et le gouvernement chérifien ne pourraient plus subsister, ou si, par la faiblesse de ce gouvernement et par son impuissance persistante à assurer la sécurité et l’ordre public, ou pour toute autre cause à constater d’un commun accord, le maintien du statu quo devenait impossible, l’Espagne pourrait exercer librement son action dans la région délimitée à l’article précédent, et qui constitue dès à présent sa sphère d’influence. » Ainsi l’article 3 prévoit un certain nombre de cas où l’Espagne pourra agir librement. Oui, dit-on, mais après un « commun accord. » Ce n’est pas aussi certain qu’il le faudrait : les exégètes peuvent soutenir que cette obligation s’applique seulement à « toute autre cause » que celles qui ont été expressément énumérées, et si on se reporte à ces causes, il est incontestable que le statu quo du Maroc a été modifié. Mais, au point où nous en sommes, ces discussions de texte sont-elles bien à leur place ? On nous a accusés, nous aussi, d’avoir violé l’Acte d’Algésiras. Nous sommes allés à Oudjda et à Casablanca pour venger nos nationaux et à Fez pour les protéger ; l’Espagne prétend être allée à Larache et à El-Ksar pour veiller à la sécurité des siens ; l’Italie est allée en Tripolitaine sous le même prétexte. On se rappelle le mot de l’Évangile sur le droit qui appartient à celui-là seul qui est sans péché. Il y a des circonstances plus fortes que toutes les volontés, et nous voudrions bien savoir quelle est la puissance qui, placée dans la situation de l’Espagne et munie des traités que celle-ci avait en mains, n’aurait pas fait ce qu’elle a fait. Il ne s’agit plus d’éplucher des textes, mais d’envisager