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en parle publiquement et qu’on en escompte déjà les résultats ? Notre malheur, au Maroc, est que nous avons toujours voulu cueillir les fruits avant qu’ils fussent mûrs : M. Caiïlaux les voit déjà servis sur sa table au moment où il plante l’arbre qui doit les porter. C’est aller un peu vite. Nous venons de voir ce que coûte d’efforts le règlement d’une affaire étroitement limitée : nous ne sommes pas sûrs que, pour faire mieux, il suffise de faire plus.

Une des principales critiques que l’on fait au traité est qu’il ne nous donne pas le Maroc tout entier : il n’y en a d’ailleurs pas de plus injuste, car le traité reconnaît précisément notre protectorat, sans restriction territoriale, sur tout le Maroc. Mais, dit-on, il y a l’Espagne. Sans doute, il y a l’Espagne : est-ce la faute de l’Allemagne ? Nous lui avons demandé de reconnaître notre protectorat sur tout le Maroc, en faisant abstraction de l’Espagne : elle a reconnu notre protectorat sur tout le Maroc, sans plus se préoccuper de l’Espagne que si elle n’existait pas. Il nous est donc impossible de comprendre le raisonnement de ceux qui veulent ajourner l’approbation parlementaire du traité allemand après le moment où notre entente définitive avec l’Espagne nous permettra de mieux mesurer ce qui nous reste du Maroc. La seule conséquence de cet ajournement serait de nous affaiblir à l’égard de l’Espagne, puisque son abandon par l’Allemagne ne serait pas encore absolument acquis. Après avoir imposé à l’Allemagne l’obligation de ne pas s’occuper de nos affaires avec l’Espagne, allons-nous mettre comme condition à notre traité avec elle le succès de notre règlement avec Madrid ? Singulière logique ! Elle s’explique chez ceux qui, étant résolus à voter contre le traité, cherchent pour cela des prétextes ; mais les autres ? Notre politique avec l’Espagne ne regarde que nous, nous seuls l’avons faite, nous seuls en sommes responsables. S’il y aurait aujourd’hui, comme nous le disions il y a quinze jours, peu de dignité à vouloir nous affranchir de nos obligations envers l’Espagne, il y aurait aussi quelque puérilité à nous en servir comme d’un moyen pour nous dégager de nos arrangemens avec l’Allemagne qui, vraiment, n’en peut mais.

Comme nous vivons d’émotions en émotions, la publication de notre traité secret avec l’Espagne en a produit une nouvelle après tant d’autres : pourtant tous ceux qui s’occupent avec un peu de suite de politique étrangère, qui Usent les journaux, qui écoutent les conversations, savaient depuis longtemps à quoi s’en tenir sur nos conventions avec Madrid, et la publication faite par le Matin, si elle a précisé pour eux quelques points restés obscurs, n’a pas été une révé-