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a pas lieu d’en douter, sera respecté en temps de paix. Soit, dit-on ; mais en temps de guerre ? En temps de guerre, il y a beaucoup d’autres choses qui seront mises ou remises en question, et ce n’est ni sur le Congo, ni sur l’Oubanghi que la solution interviendra. Les traités sont faits en vue de la paix ; la guerre les déchire tous.

Le mécontentement de l’opinion allemande a provoqué un incident d’un caractère tout à fait rare chez nos voisins de l’Est : M. de Lindequist, ministre des Colonies, a donné sa démission. Les ministres allemands ne dépendent pas des Chambres comme les nôtres ; ils dépendent de l’Empereur, ils sont les agens d’exécution de sa politique : en conséquence, lorsqu’un ministre démissionne dans les conditions où M. de Lindequist vient de le faire, il découvre l’Empereur et semble se rebeller contre lui. La démission de M. le ministre des Colonies a provoqué une très ie émotion en Allemagne. Dans le monde gouvernemental et à la Cour, on l’a regardée comme une désertion ; on en a été irrité et indigné ; mais si M. de Lindequist aime la popularité, il a eu des compensations, car il est devenu le héros de l’opposition, et l’opposition, dans le cas actuel, est à peu près tout le monde. La mauvaise humeur générale s’est manifestée et exprimée en lui tressant des couronnes peut-être éphémères : on sait ce que durent le plus souvent ces popularités improvisées. M. de Lindequist le sait comme nous, et il lui a fallu une conviction très forte pour qu’il s’exposât à briser sa carrière qui était brillante jusqu’ici et pouvait le devenir davantage. Sa thèse est que la partie du Congo cédée par nous à l’Allemagne est composée de terres sans valeur, de brousses et de marécages où la terrible maladie du sommeil exerce [de grands ravages. On ne peut évidemment pas songer à en faire une colonie de peuplement : aussi n’y avait-il là qu’une soixantaine d’Européens et, en tout, cinq ou six Français. Enfin la nouvelle frontière allemande, avec ces longs appendices qui s’étendent jusqu’aux fleuves, sera très difficile et coûteuse à garder. La conclusion de M. de Lindequist est qu’il fallait rester au Maroc, ou, si on consentait à en sortir moyennant compensations, les prendre ailleurs qu’au Congo. Il y a certainement là beaucoup d’exagérations ; mais ces exagérations sont devenues l’opinion allemande elle-même : la séance qu’a tenue le Reichstag le 9 novembre en a été la preuve. Le chancelier de l’Empire, M. de Bethmann-Hollweg, a défendu le traité dans un langage simple et précis qui aurait dû, semble-t-il, produire une bonne impression sur l’Assemblée : il a été constamment interrompu par les ricanemens