Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Leur sentiment sur ce point est unanime. Ils semblent, en vérité, avoir cru que les Turcs leur ouvriraient les portes de Tripoli et de Benghazi en leur disant : Donnez-vous la peine d’entrer. Et ils éprouvent une grande déception qu’il en soit autrement ! Et les Turcs se rendent coupables à leurs yeux d’un véritable scandale !

Que peut faire cependant le gouvernement de Constantinople ? Son embarras est extrême. Il ne saurait conserver aucune illusion. Saïd pacha est trop expérimenté pour ne pas se rendre compte que la Tripolitaine est perdue sans retour. Mais l’opinion ottomane est très surexcitée et il ne faut pas compter sur le ou sur les comités de la Jeune-Turquie pour la ramener à une saine appréciation des choses. Leur gouvernement apparaît aujourd’hui comme un des plus faibles et des plus maladroits que le pays ait jamais eus. Les Jeunes-Turcs affectaient volontiers de ne croire qu’à la force ; mais où était la leur ? Quand il a fallu la montrer, ils l’ont cherchée en vain. Ce n’était pas assez et c’était trop facile d’en avoir contre Abdul-Hamid. Toutefois ils continuent d’échauffer l’opinion et ils parlent de verser la dernière goutte de leur sang avant de céder aux exigences de l’Italie. Ils ne verseront pas leur sang, car l’occasion ne leur en sera pas donnée, et ils se condamnent, par l’attitude qu’ils ont prise, à se morfondrêf sur place dans l’attente d’événemens impossibles. Dans le premier paroxysme de leur douleur et de leur colère, ils auraient pu prendre des mesures que leur désespoir aurait excusées, mais qui, aujourd’hui que le sang-froid est ou doit être revenu, révolteraient tout le monde. En réalité, ils sentent leur impuissance, sans vouloir se l’avouer. Combien de temps cette situation durera-t-elle ? Elle finira par n’être embarrassante que pour la Turquie. Les Italiens s’établiront en Tripolitaine comme nous l’avons fait en Algérie, — ils y mettront seulement moins longtemps, — en se passant de l’acceptation de la SubUme Porte. Elle n’a pas encore reconnu notre prise de possession de l’Algérie, et l’expérience nous a appris que cet état de choses pouvait se prolonger sans grand danger.

Le Parlement ottoman s’est réuni, il y a quelques jours : il s’est comporté avec dignité et a voté un ordre du jour de confiance dans le ministère Saïd, ou plutôt en Saïd lui-même, qui a parlé simplement et par là même éloquemment. Néanmoins, cet ordre du jour contient une équivoque, comme il arrive d’ailleurs presque toujours dans des situations aussi complexes, Saïd pacha ayant été chargé de veiller avec efficacité aux intérêts et à l’honneur du pays. Ce n’est pas là l’indication d’une solution. Saïd attend sans doute que, soit par