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notre amie au Maroc. Si, en effet, elle ne l’est pas, le jour viendra sûrement où elle en cherchera et en trouvera d’autres, ce qui pourrait, à de certains momens, nous créer plus d’embarras que ne nous en causera jamais une enclave espagnole à nos côtés. Nous sommes tout à fait sur ce point de l’avis de M. Paul Leroy-Beaulieu qu’on n’accusera certainement pas d’être animé d’un esprit colonial insuffisant : personne n’a écrit contre les projets d’entente avec l’Allemagne au moyen de concessions faites au Congo des articles plus véhémens que les siens dans l’Économiste français. Mais quand il s’agit de l’Espagne, il désarme aussitôt et se demande, avec le bon sens le plus calme, ce que peut nous faire que l’Espagne occupe un district de plus ou de moins au Maroc. En vérité, cela importe peu, ou du moins beaucoup de choses importent pour nous davantage.

L’accord avec Madrid sera d’autant plus facile à faire, si on le veut bien, qu’il est déjà fait et qu’il suffit de s’y conformer. Avant de nous engager dans l’affaire marocaine, nous avons conclu des arrangemens avec l’Angleterre, l’Italie et l’Espagne. Nous devons tenir nos engagemens avec cette dernière, comme nous les avons tenus avec l’Angleterre et l’Italie, comme nous les tiendrons demain avec l’Allemagne : si nous ne le faisions pas, les motifs qu’on ne manquerait pas d’attribuer à cette différence de traitement ne seraient pas tout à fait à notre honneur. Nous avons constamment déclaré que l’Espagne devait avoir au Maroc une part à côté de la nôtre, plus petite sans doute, mais bien à elle, et ce n’est pas parce que nous avons fait ou que nous aurons fait un arrangement avec l’Allemagne que nous changerons d’avis.


Quant aux Italiens, ils poursuivent avec beaucoup de méthode et de succès leur occupation de la Tripolitaine. L’exaltation de joie et d’orgueil qu’ils en éprouvent prend quelquefois des formes hyperboliques, mais elle est naturelle et légitime. Ils n’ont qu’un tort, qui est de trouver que les Turcs, les pauvres Turcs ! se couvrent d’opprobre lorsque par hasard ils se défendent. Mais

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire,


et les Italiens eux-mêmes devraient être satisfaits de rencontrer de temps en temps quelque résistance, afin d’avoir le mérite de la vaincre. Leur indignation est telle contre les Turcs qu’ils sont maintenant bien résolus à annexer purement et simplement la Tripolitaine, au lieu d’y respecter pour la forme la suzeraineté du Sultan.