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produisaient jamais en pleine mer. Les autres nations ont aussi des navires qui contiennent d’importantes cargaisons de poudre, et sans doute quelques accidens s’y produisent, mais les effets en sont toujours limités, ils ne prennent pas le caractère d’une catastrophe nationale. Les autres ont-ils de la meilleure poudre que nous, ou seulement la surveillent-ils mieux ? À cette question, on trouvera peut-être une réponse dans les observations qui précèdent. Mais pourquoi les désastres dont nous gémissons ne se produisent-ils qu’à Toulon ? On a dit qu’il y avait dans le climat méridional de cette ville, dans les facilités de vie, les amusemens, les distractions, les séductions qu’on y trouve, enfin dans le milieu particulier qui l’enveloppe, des causes émollientes qui agissent sur nos marins, officiers et matelots, et produisent chez eux ce relâchement de la discipline dont nous avons parlé plus haut. Cela est-il vrai ? Tout le monde le croit, mais c’est à M. le ministre de la Marine de le dire. Et enfin nous avons fait la remarque, et nous y insistons, que ces accidens épouvantables qui, en quelques minutes, coûtent la vie à 200 hommes, privent notre escadre de guerre d’une de ses unités les plus importantes et causent une perte de cinquante millions à notre budget, n’arrivent pas en pleine mer. Si la poudre B est dangereuse à Toulon, elle devrait l’être ailleurs et y produire les mêmes effets : si elle ne les y produit pas, c’est qu’il y a à Toulon même une cause spéciale qui les y détermine, et quelle pourrait être cette cause, sinon encore et toujours le défaut de discipline ? Elle n’opère pas en mer avec la même intensité parce que ni les officiers, ni les matelots ne peuvent alors descendre à terre ; ils restent tous groupés sur le navire, soumis sans interruption aux principes d’une hiérarchie sévère, tout entiers à leur affaire, sans permissions, sans congés, sans lendemains fatigués d’une journée ou d’une nuit de plaisirs : et cela explique bien des choses. Il y a une autre explication, sur laquelle nous ne voulons pas insister aujourd’hui, mais qu’il est malheureusement impossible d’éliminer comme invraisemblable, depuis surtout que, par une coupable faiblesse, des condamnés de droit commun sont admis dans les troupes de la marine et dans les équipages de la flotte : c’est qu’un saboteur ne pourrait pas s’échapper en pleine mer où il serait la première victime de son crime.

Nous recommandons ces observations à M. Delcassé : s’il veut la fin, qu’il prenne les moyens. Le seul qui, dans la marine comme ailleurs, épargnera au pays des douleurs et des pertes comme celles qu’il vient d’éprouver est de gouverner, c’est-à-dire de mettre l’autorité