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sort qui pèse sur l’amitié de l’Allemagne et de la Porte. Toutes les fois que la Porte est dépouillée d’une de ses provinces, elle l’est par une alliée de l’Allemagne, et l’Allemagne est obligée de laisser faire, sauf à panser les blessures après coup. C’est une étrange fatalité.

L’origine de tous ces événemens et de ceux qui viendront ensuite est dans notre entreprise marocaine : à partir du point de départ, on les a vus se dérouler avec une logique inexorable. Ce serait sans doute une raison pour se montrer plus prudent à l’avenir, mais nous n’espérons guère qu’on le soit. Les partisans du protectorat ont fini par l’emporter ; ils ont su mettre la main sur le gouvernement et le pousser peu à peu jusqu’au bout, encouragés au dernier moment par le gouvernement allemand lui-même. Dès lors, il n’est plus question que de notre protectorat : l’Allemagne l’accepte avec toutes ses conséquences ; les autres puissances l’accepteront de même, non pas peut-être aussi vite qu’on l’imagine, mais quelques retards importent peu. Seulement, elles nous demanderont de faire de notre protectorat une réalité ; nous en aurons pris l’engagement, il faudra bien le tenir. Nous serons donc obligés d’organiser, d’administrer, en un mot de gouverner le Maroc tout entier et cela à bref délai. A quoi bon répéter une fois de plus que ce sera une lourde tâche ? Nous comprenons que le gouvernement actuel en rejette la responsabilité sur ceux qui l’ont précédé : il en a pourtant sa part lui aussi. Un jour viendra, — il est encore loin, — où nous serons vraiment les maîtres du Maroc : alors ceux qui ont préconisé le protectorat et la conquête triompheront de notre timidité. Nous ne sommes nullement timides et nous ne méprisons pas la possession du Maroc ; nous la préférons même à celle du Congo ; mais nous aurions pu l’avoir à beaucoup moins de frais en y employant d’autres procédés. On a voulu brusquer l’événement : lorsqu’il sera définitivement accompli, nous ferons le calcul de ce que notre politique inconsidérée nous aura coûté et nous aura fait perdre : on trouvera peut-être alors que le Maroc nous sera revenu cher.


Nous voudrions parler des récentes élections canadiennes, qui sont un événement d’une importance mondiale : la place nous manque, il faut remettre à plus tard. Mais nous avons, hélas ! un certain nombre de deuils à enregistrer.

La catastrophe dans laquelle a sombré le cuirassé La Liberté a dépassé en épouvante toutes celles qui avaient précédé : elle nous a coûté plus de 200 hommes et un des meilleurs navires de notre