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dominait son atelier. En 1410, il achetait le droit de bourgeoisie et devenait dès lors sinon le peintre officiel, — Tournai ne possédait point de pourtraiteur attitré, — du moins le peintre ordinaire de la ville[1]. Il polychromait et dorait des images sculptées, ornait des bannières, peignait des armoiries et des personnages sur les façades, fournissait des modèles aux dinandiers, tapissiers, orfèvres. Les métiers artistiques étaient placés autrefois sous la direction des maîtres que l’on saluait comme étant les premiers de leur époque, — les exemples abondent dans l’art flamand du XVIe siècle au XVIIe, — et si la physionomie artistique des temps actuels diffère si vivement de celle d’autrefois, c’est en grande partie à cause de l’abandon de cette tradition. Les sculpteurs tournaisiens, en qui on a voulu voir un moment les vrais inspirateurs du réalisme septentrional, devaient compter des maîtres originaux. Pourtant des textes en nombre imposant établissent que maître Robert et ses principaux confrères peintres fournirent des patrons aux sculpteurs et imagiers de la ville. Il leur arrivait même de diriger des travaux de sculpture et nous voyons Robert Campin entreprendre l’exécution d’une châsse et commander « les ouvriers de le taille de le fierté. » En 1420, notre maître, devenu citoyen notable, change de maison, s’établit dans le quartier de Saint-Pierre, plus animé et plus commerçant, et, trois ans plus tard, à la faveur d’une révolution démocratique, parvient aux honneurs corporatifs et municipaux. Mais, en 1428, la réaction bourgeoise lui fait expier durement ses sympathies révolutionnaires ; il est condamné à une forte amende, doit accomplir le pèlerinage de Saint-Gilles en Provence (on peut croire que les merveilles sculpturales de la célèbre église adoucirent sa peine), et se voit privé à perpétuité « d’être en loi et en office, » c’est-à-dire que toutes les fonctions communales lui sont désormais interdites. Toutefois, l’atelier de Robert Campin restait sans rival à Tournai. On connaît les noms de quatre de ses élèves : Haquin de Blandain, Rogelet de le Pasture, Jacquelotte Daret et Willemet N.-Haquin de Blandain ne s’éleva pas à la maîtrise ; les trois autres élèves acquirent le titre de maître en 1432, année néfaste pour Robert Campin. Le chef de l’école tournaisienne fut à nouveau frappé d’une condamnation. Cette fois, sa faute n’était point d’ordre

  1. Cf., pour les carrières de Robert Campin et Jacques Daret, la brochure de M. Houtart : Jacques Daret, peintre tournaisien du XVe siècle. Casterman, Tournai.