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qu’elle aime mieux attendre vingt ans, sûre qu’elle se croit d’être alors infiniment plus forte qu’aujourd’hui, tandis que l’Angleterre et la France seront beaucoup plus faibles. Si ces prophéties, qu’on nous permettra de juger douteuses, contribuent, même provisoirement, au maintien de la paix, qu’elles soient les bienvenues. Mais l’humeur peut changer ; les points de vue peuvent se modifier ; les hommes, les gouvernemens, les peuples sont mobiles : le plus sûr pour tous est d’être constamment prêts.


On vient de voir que le Lokal Anzeiger dénonçait en Angleterre la présence de problèmes sociaux dont chacun renfermait un germe de mort. C’est une vue bien pessimiste de la situation actuelle de l’Angleterre. Ce grand pays, dans son histoire tourmentée, a traversé des crises plus graves que celles d’aujourd’hui, et il en est sorti toujours plus fort, doué qu’il est d’une vigueur robuste que rien n’a pu abattre et d’un bon sens qui a pu subir des éclipses, mais non pas des altérations prolongées. Ceci dit, nous sommes les premiers à reconnaître que l’Angleterre, qui continue de montrer une si admirable maîtrise d’elle-même dans sa politique extérieure, traverse en ce moment une épreuve politique et une épreuve sociale dont l’évolution future échappe aux prévisions.

De la crise politique, nous avons parlé bien souvent. Le conflit douloureux qui s’est élevé entre la Chambre des Communes et la Chambre des lords a eu un moment d’arrêt à la mort d’Edouard VII. On n’a pas voulu placer d’emblée le nouveau roi en face d’un problème qui semblait insoluble, mais la trêve ne pouvait pas être de longue durée, et les deux partis hostiles cantonnés comme dans des forteresses, l’un dans la Chambre des Communes et l’autre dans la Chambre des Lords, n’ont pas tardé à reprendre les armes qu’ils avaient un moment déposées. Une tentative de conciliation entre leurs principaux représentans ayant échoué, la bataille a recommencé de plus belle. Après les élections dernières, le gouvernement et sa majorité n’ont voulu tenir aucun compte à la Chambre des Lords du vote du budget auquel elle s’était résignée, et ils ont repoussé systématiquement toutes les propositions de réforme constitutionnelle sur lesquelles lord Lansdowne, M. Balfour et lord Roseberry s’étaient mis d’accord. La réforme proposée était pourtant très sérieuse, très profonde, presque révolutionnaire ; elle aurait satisfait, à un autre moment, les radicaux les plus exigeans ; mais le gouvernement n’était pas libre ; il avait besoin des Irlandais, et ceux-ci, devenus les maîtres