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D’ailleurs les ballerines ont infiniment moins de culture intellectuelle que les actrices et chanteuses : cela tient à la naissance, à l’éducation, au métier lui-même ; elles reprennent l’avantage par la volonté, l’ambition pratique. Ce ne sont pas les pieds seulement qui à l’Opéra ont de l’esprit. Les choses se passaient de la sorte, voici quelque cinquante ou soixante ans ; elles n’ont pas beaucoup changé depuis. « On voit ces dames venir une à une, descendre avec une grâce étudiée un petit escalier de quatre pas marcher avec ce déhanchement qui n’appartient qu’aux danseuses, le pied en dehors, tout d’une pièce, et chaussé d’une guêtre large qui leur donne assez l’aspect de petites poules anglaises blanches. (Ces guêtres sont destinées à garantir le lustre de leurs souliers de satin et la netteté de leurs bas). Avec le petit arrosoir qu’elles portent du bout du doigt en façon de jardinières de Watteau, elles versent un peu d’eau sur un espace de trois pieds carrés ; puis, soulevant avec leurs mains la tournure de leur robe, elles envoient dans la glace une œillade générale au groupe qui se tient derrière elles ; et les voilà parties, s’arrondissant, pirouettant, s’enlevant, travaillant tes sourires, les langueurs, les entrechats pendant cinq minutes. — Ici un peu de repos. Le groupe d’hommes se disloque, les plus intimes s’approchent et profitent de cette courte halte. — L’avertisseur vient jeter sa voix de crécelle au milieu de ces gazouillemens de femmes et de jeunes gens : Messieurs et dames, on commence. (Ce n’est pas vrai.) Cet incident est utile à celles de ces dames qui veulent couper court à une conversation ennuyeuse ou trop pressante : leur réponse est un entrechat. — L’avertisseur revient : Messieurs et dames, l’on a commencé. (C’est à peu près vrai.) On défait alors les guêtres, on remet son arrosoir à sa mère, à sa femme de chambre, ou à la personne qui est l’une et l’autre, et l’on prend en se déhanchant de plus belle, en donnant à son corps les saillies les plus déraisonnables, le chemin de la scène. »

Sous la monarchie de Juillet, quelques jeunes doctrinaires se mirent en tête de cultiver le foyer ; ils y trouvèrent une initiatrice qui, s’attribuant l’entreprise générale de leur éducation, s’acquitta de sa charge avec tant de zèle, qu’on la surnomma le Canapé de la doctrine. Rien de plus durable que l’habitude des surnoms dans le monde et autour du monde dansant ; ces dames ont presque toutes un sobriquet ; ainsi, je me rappelle Vultur,