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d’établissement, » en convenant qu’une certaine inégalité dans les conditions est, en quelque sorte, de plan providentiel, et en regrettant presque que, peu à peu, par des changemens déclasse, des enrichissemens et des anoblissemens, des ascensions et des descentes, les degrés s’aplanissent et les distinctions s’effacent : « Mettez l’autorité, les plaisirs et l’oisiveté d’un côté ; la dépendance, les soins et la misère de l’autre ; ou ces choses sont déplacées par la malice des hommes, ou Dieu n’est pas Dieu. _ » Voilà le premier cri, jailli du cœur ; et le voici maintenant un peu assourdi : « Une certaine inégalité dans les conditions, qui entretient l’ordre et la subordination, est l’ouvrage de Dieu, ou suppose une loi divine : une trop grande disproportion et telle qu’elle se remarque parmi les hommes est leur ouvrage ou la loi des plus forts. Les extrémités sont vicieuses et partent de l’homme ; toute compensation est juste et vient de Dieu[1]. » Car il y a des compensations : « On demande si, en comparant ensemble les différentes conditions des hommes, leurs peines, leurs avantages, on n’y remarquerait pas un mélange ou une espèce de compensation de bien et de mal qui établiroit entre elles l’égalité, ou qui feroit du moins que l’une ne seroit guère plus désirable que l’autre. Celui qui est puissant, riche, et à qui il ne manque rien, peut former cette question ; mais il faut que ce soit un homme pauvre qui la décide. Il ne laisse pas d’y avoir comme un charme attaché à chacune des différentes conditions, et qui y demeure, jusqu’à ce que la misère l’en ait ôté[2]. »

Était-il si intolérable qu’il y eût jadis des « respects d’établissement » qui empêchaient « qu’on ne prît la femme du partisan pour celle du magistrat, et le roturier ou le simple valet pour le gentilhomme ? » Mais le siècle en a tant vu de gens qui avaient fait dans leur jeunesse l’apprentissage d’un certain métier pour en exercer un autre, et fort différent, le reste de leur vie ; de financiers qui n’ont pas manqué leur coup, qui ont réussi, qui par conséquent ne sont plus « des bourgeois, » des hommes de rien, des malotrus, et à qui les courtisans ont demandé leurs filles ; de familles « dont on ne parloit point il y a cent ans, qui n’étoient point, » et « en faveur de qui le ciel tout d’un coup s’est ouvert ; » il en a tant vu de Sosies et de maris

  1. Caractères. — Des Esprits forts.
  2. Ibid. — Des Grands.